Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VII.djvu/109

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
102
LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

en résulte que la grandeur [actuellement] infinie est possible et n’implique pas contradiction.

» Cela apparaît d’une manière évidente si l’on admet que toutes les parties de la grandeur, parties grâce auxquelles l’augmentation de cette grandeur est possible[1], concourent à former une grandeur continue unique ; de ces parties, en effet, se peut constituer une grandeur numériquement une.

» Or un acte est à un autre acte comme la puissance [du premier acte] est à la puissance [du second]. Si donc les parties de grandeur qui sont posées eu acte constituent une grandeur numériquement une, de telle sorte que cette dernière grandeur intègre toutes ces parties, il en résulte que les possibilités et puissances de toutes ces parties sont intégrées en une puissance unique, qui est la puissance du tout ; de cette façon, de même que toutes les parties en acte concourent à former un tout unique en acte, de même, les possibilités de toutes les parties constituent la possibilité unique de ce tout.

» Posons alors cette question : Étant donnée une grandeur, peut-on lui ajouter successivement une infinité de parties de grandeur, oui ou non ?

» Si l’on répond oui, il en résulte qu’une infinité de grandeurs sont possibles ; non pas, il est vrai, qu’elles existent en acte ; mais elles sont cependant en puissance. Il est certain, d’autre part, que si toutes ces grandeurs étaient posées en acte, elles constitueraient une grandeur actuelle unique. Donc, si l’on pose en puissance les possibilités de toutes ces grandeurs, ces possibilités constitueront la possibilité d’un tout unique et, par conséquent, ce tout sera quelque chose de possible. Mais un tout constitué par une infinité de grandeurs serait une grandeur infinie. Donc la possibilité qui est constituée par les possibilités de toutes ces grandeurs, sera, elle aussi, la possibilité d’une grandeur infinie, en sorte que la grandeur infinie sera quelque chose de possible. Or, toute possibilité est susceptible d’être réduite en acte, comme le montre de la puissance : autrement, si elle ne pouvait être réduite en acte, elle ne serait plus possibilité ; elle serait plutôt chose interdite et impossible ; la grandeur infinie en acte sera donc possible dès là que l’on aura admis qu’une grandeur peut être augmentée à l’infini. »

Cette argumentation peut paraître savante ; elle n’est, en réalité, qu’un perpétuel jeu de mots que rend possible l’abus, commis par

  1. Au lieu de : possibile, le texte, par une erreur évidente, dit : impossibile.