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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

» De même, Dieu aurait pu mouvoir continuellement le Ciel jusqu’à ce jour et, durant chacune des révolutions du Ciel, créer une pierre ; il aurait pu réunir toutes ces pierres en une seule ; cela fait, un volume infini existerait d’une manière actuelle. Mais, au premier livre, nous avons prouvé que Dieu ne pourrait produire, d’une manière actuelle, ni une multitude infinie ni une grandeur infinie. Dieu n’a donc pu créer le Monde de toute éternité.

» De même encore, si Dieu avait pu créer le Monde de toute éternité, il aurait pu, tout aussi bien, mouvoir le Ciel de toute éternité, continuellement et jusqu’à ce jour. Dieu aurait donc pu faire qu’une multitude infinie de jours fussent maintenant passés. Mais il est impossible que Dieu ait fait une multitude de jours passés qui fût infinie in accepto esse ; il n’est pas possible, en effet, qu’il ait produit quelque chose qui soit aujourd’hui passé et qui n’ait pas été futur ; il n’aurait donc pas pu produire une multitude de jours passés qui fût infinie in accepto esse s’il n’y avait pas eu une infinité in accepto esse de jours futurs. Mais Dieu n’a pas pu faire qu’une infinité de jours fussent des jours futurs in accepto esse, mais seulement in accipiendo esse ou in fieri. Semblablement, donc, Dieu n’eût pu produire une multitude de jours passés qui fût infinie in accepto esse, mais seulement in accipiendo esse. Il reste donc que le Monde n’a pu être créé de toute éternité. »

L’antagonisme est certain entre ces deux propositions de la Philosophie péripatéticienne :

L’Univers a existé ou a pu exister de toute éternité ;

L’infiniment grand actuel est impossible.

Les Arabes avaient fort bien reconnu cet antagonisme ; les Motékallemîn rejetaient la première proposition au nom de la seconde ; au nom de la première, Avicenne et Al Gazâli avaient, sinon nié, du moins restreint la seconde.

À la suite d’Averroès et de Maïmonide. Thomas d’Aquin et ses disciples, Gilles de Rome et Godefroid de Fontaines avaient tenté de rétablir l’accord ou de pallier le désaccord entre les deux propositions. Tentative chimérique ! Leur contradiction se marque de nouveau, rendue plus choquante par le pouvoir que le dogme chrétien attribue à Dieu de créer dans le temps. En vertu de cette contradiction, Richard de Middleton, reprenant la thèse des Motekallémîn, conclut de l’impossibilité de l’infini actuel à l’impossibilité d’un Monde éternel ; d’autres, un Jean de Bassols par exemple, de la possibilité d’un Monde éternel, déduira la possibilité d’un