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L’INFINIMENT GRAND

selon Richard de Middleton[1], celle de la multitude infinie en acte : « Dieu ne peut produire quelque chose qui soit, en nombre, actuellement infini. En effet, toute multitude infinie que Dieu pourrait réaliser au moyen de choses incorporelles, il pourrait aussi bien la réaliser à l’aide de corps ; mais Dieu ne peut produire une multitude infinie de corps, car de ces corps, dont la multitude serait infinie, il pourrait également faire un tout continu ; il produirait ainsi un volume continu actuellement infini, et, en la précédente question, on a prouvé que cela ne pouvait être. »

À l’appui de l’opinion selon laquelle la multitude infinie peut être actuellement réalisée, on cite volontiers cet argument : Toute grandeur continue est indéfiniment divisible ; il n’y a donc pas impossibilité à la concevoir comme divisée, d’une manière actuelle, en une multitude infinie de parties.

« Lorsqu’on dit que tout continu est divisible à l’infini, je réponds que cela est vrai pourvu qu’on le comprenne ainsi : Il peut être divisé sans fin, mais de telle façon que le nombre des parties déjà obtenues soit toujours fini. Si vous admettez qu’il soit ainsi divisé, il n’en résulte aucune impossibilité ; il n’en résulte pas, en effet, l’existence d’un infini in facto esse, mais seulement, d’un infini in fieri que l’on nomme habituellement un infini en acte avec mélange de puissance. »

De l’impossibilité de l’infini en acte, Richard de Middleton tire cette conclusion. Le Monde n’a pu exister de toute éternité. Son argumentation est imitée de celle des Motékallemîn, que Moïse Maïmonide avait reproduite et discutée, qu’Al Gazâli avait admise. Elle mérite d’être rapportée ici, car elle est devenue comme le thème d’une discussion ardente et d’une extrême importance entre tenants de l’infini in fieri et partisans de l’infini in facto esse.

« S’il était possible que le Monde eût été créé de toute éternité, dit Richard[2], Dieu eût pu réaliser l’infini actuel soit en nombre, soit en grandeur. Il eût pu de même, en effet, créer des hommes de toute éternité ; de toute éternité, les hommes eussent engendré d’autres hommes, et leurs successeurs en eussent fait autant jusqu’à ce jour. Comme, d’ailleurs, les âmes raisonnables sont incorruptibles, il existerait, d’une manière actuelle, une multitude infinie d’âmes raisonnables.

  1. Ricardi de Mediavilla Op. laud., lib. I, dist. XLIII, art. I, quæst. VI ; éd. cit., t. I, p. 386.
  2. Ricardi de Mediavilla Op. laud., lib. II, dist. II, art. III, quæst. IV ; éd. cit., t. II, p. 17.