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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

Voici, selon notre Franciscain, la raison métaphysique qui rend contradictoire, pour toute créature, l’infini in actu simpliciter :

« Les mots : essence de la créature, expriment quelque chose qui est indifférent à exister ou à ne pas exister d’une manière effective ; et cela est évident, car les essences des créatures, qui étaient, de toute éternité, connues de Dieu, pouvaient fort bien ne pas exister effectivement ; et beaucoup de ces essences sont, encore aujourd’hui, connues de Dieu, auxquelles le Créateur peut donner ou ne pas donner l’existence effective. Mais cette indifférence se trouve déterminée du moment même que l’essence est contrainte à l’un des deux partis de l’alternative, à l’existence ; une dimension qui existe effectivement reçoit, par l’effet même de cette existence effective, une détermination. Il ne s’agit pas, d’ailleurs, d’une détermination par laquelle elle se trouverait placée en tel genre et en telle espèce ; lors même qu’aucune surface n’existerait en effet, le mot surface n’en désignerait pas moins une essence appartenant au genre quantité. Il suit de là que, par son existence effective, une essence reçoit une détermination de même nature que celle qu’elle reçoit par division, c’est-à-dire une détermination à l’aide de bornes imposées à sa longueur, à sa largeur et à sa profondeur. L’infinité répugne donc à toute dimension par cela même que celle-ci est douée d’existence effective. »

Contre l’existence de l’infini en acte, Richard raisonne à peu près comme Thomas d’Aquin et Henri de Gand. Tous ces philosophes s’entendent à déclarer que l’existence en acte est une détermination ; c’est une détermination que la forme impose à la matière, disent Thomas et Henri ; c’est une détermination que l’essence impose à l’existence, écrit Richard. Pour les uns comme pour les autres, cette détermination entraîne délimitation d’étendue et exclut la grandeur infinie.

Mais de ce que la grandeur infinie en acte est impossible, Thomas et Henri ont conclu, avec Aristote, que la grandeur infinie en puissance l’était également. Mais Richard, tout en niant la possibilité de la première, admet que Dieu peut produire la seconde. À ceux qui lui reprocheraient de méconnaître l’axiome d’Aristote, Richard répond : « Toute grandeur qui appartient en puissance à un objet lui appartient aussi en acte à l’égard d’un opérateur qui opère au moyen de quelque chose préexistante. Mais à l’égard de Dieu, qui peut produire de rien, cette parole du Philosophe n’est plus vraie.

L’impossibilité de la grandeur actuellement infinie entraîne,