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L’INFINIMENT GRAND

entraînant la possibilité de la grandeur infinie au moins en puissance. Il a combattu cette possibilité, mais il a été des derniers à la combattre.


II
LA POSSIBILITÉ DE L’INFINI SYNCATÉGORIQUE


Le premier qui ait enseigné la possibilité de l’infini syncatégorique est, peut-être, un franciscain qui, en une foule d’autres circonstances, s’est montré fidèle disciple d’Henri de Gand ; nous avons nommé Richard de Middleton.

« Certaines gens, s’écriait Pierre Lombard[1], se faisant gloire de leur sens propre, se sont efforcés de restreindre la puissance de Dieu et de lui assigner une mesure. Lorsqu’ils disent, en effet : Dieu peut jusque-là, mais il ne peut pas davantage, qu’est cela, sinon enfermer en des limites la puissance de Dieu, qui est infinie, et la restreindre à une certaine mesure ? »

C’est en commentant ce que Pierre Lombard avait dit de la toute-puissance divine que Richard de Middleton est amené à se demander si Dieu peut réaliser un infini.

Il nie, tout d’abord[2], que Dieu puisse produire un être qui soit infini sous tous rapports, qui soit infini de telle sorte que rien, en cet être, ne soit fini.

Sa négation n’a plus la même rigueur lorsqu’il s’agit de savoir[3] « si Dieu peut produire quelque chose qui soit naturellement infini suivant une certaine dimension », ou, en d’autres termes, qui soit infini sous un certain rapport sans l’être sous tous les rapports. À cette question, « je réponds, dit Richard, que, sans fin, Dieu peut produire une dimension plus grande, et une encore plus grande, mais sous la condition qu’à chaque instant, la grandeur déjà prise à cet instant soit finie. C’est ce que l’on nomme habituellement l’infini en acte avec mélange de puissance ou l’infini in fieri ; mais il est impossible que Dieu produise une dimension quelconque qui soit infinie in facto esse ou, comme l’on dit couramment, qui soit un infini in actu simpliciter. »

  1. Petri Lombardi Episcopi Parisiensis, Sententiarum libri quatuor ; lib. I. dist. XLIII.
  2. Magistri Ricardi de Mediavilla Super quatuor libros sententiarum Petri Lombardi Quæstiones subtilissimæ, Lib. I, dist. XLIII, art. I, quæst. IV ; éd. Brixiæ, MDXCI, t. I, pp. 382-383.
  3. Ricardi de Mediavilla op. laud., lib. I, dist. XLIII, art. I, quæst. V ; éd. cit., t. I, pp. 383-386.