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L’INFINIMENT GRAND

amené à répondre à la question que voici[1] : « Faut-il admettre, en Dieu, une certaine infinité d’idées et de notions ? » L’examen de cette question en soulève une autre qui est ainsi formulée ; « Selon l’essence et la nature des créatures, doit-on supposer que des créatures, en imitant la divine perfection, se puissent surpasser les unes les autres, de telle sorte que leur degré de perfection croisse à l’infini ? »

Ce progrès par lequel le degré d’une certaine perfection croît en intensité, par lequel cette perfection imite de mieux en mieux la perfection divine, Henri de Gand admet qu’il se fait par addition d’une forme nouvelle à la forme préexistante. Ce progrès « per additionem ad format » est celui qu’allaient admettre Richard de Middleton, Duns Scot, Guillaume d Ockam et les disciples de ces derniers. Thomas d’Aquin et Gilles de Rome niaient formellement que l’accroissement d’une forme se fît de cette manière ; Godefroid de Fontaines et, après lui, Walter Burley soutiendront que tout progrès en perfection se fait par destruction de la forme moins parfaite et génération d’une forme plus parfaite.

Selon la manière de voir d’Henri de Gand, le progrès d’une perfection est assimilable de tout point à l’accroissement d’une grandeur. et il n’y a, comme l’on voit, aucune différence à ce sujet entre la grandeur d’un corps et le degré d’une perfection. »

La question posée se ramène alors à une question plus générale : « Si ce perfectionnement d’une forme, dont nous avons parlé, pouvait procéder à l’infini, il en résulterait que tout accroissement par addition, considéré absolute et simplicité, pourrait procéder à l’infini. » En particulier, l’addition d’un volume à un autre volume pourrait procéder à l’infini.

Le problème posé est ainsi ramené à un autre problème qu’Aristote a résolu, et notre auteur admet pleinement la solution du Philosophe.

Il admet que le corps infini ne saurait exister d’une manière actuelle.

Il admet que l’addition de grandeurs permanentes les unes aux autres ne peut procéder à l’infini s’il n’existe, en acte, une grandeur infinie de même espèce.

Il est ainsi amené à résumer toute son argumentation en cette proposition : « Si l’accroissement d’une forme pouvait se pour-

  1. Henrici a Gandavo op. laud., Quodlib. V, quæst. III : Utrum in Deo sit ponere aliquam infinitatem idearum vel cognitorum ; éd. cit., fol. CLV, verso, et fol. CLVI, recto.