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CHAPITRE PREMIER
L’INFINIMENT PETIT ET L’INFINIMENT GRAND

I
Le nombre infini actuel
et l’immortalité de l’âme

Dès le début du xive siècle, le grandiose édifice de la Physique péripatéticienne était condamné à la destruction ; la foi chrétienne en avait sapé tous les principes essentiels ; la science d’observation ou, du moins, la seule science d’observation qui fût alors quelque peu développée, l’Astronomie, en avait rejeté les conséquences ; l’antique monument allait disparaître ; la science moderne allait le remplacer.

La destruction de la Physique péripatéticienne ne fut pas un subit écroulement ; la construction de la Physique moderne ne se lit pas sur un terrain où rien n’était plus debout. De l’une à l’autre, le passage se lit par une longue suite de transformations partielles, dont chacune prétendait seulement retoucher ou agrandir quelque pièce de l’édifice sans rien changer à l’ensemble. Mais lorsque toutes ces modifications de détail eurent été faites, l’esprit humain, embrassant d’un regard le résultat de ce long travail, reconnut avec surprise qu’il ne restait rien de l’ancien palais et qu’un palais neuf se dressait à sa place.

Ceux qui, au xvie siècle, prirent conscience de cette substitution d’une science à une autre furent saisis d’une étrange illusion ; ils s’imaginèrent que cette substitution avait été soudaine et qu’elle était leur œuvre ; ils proclamèrent que la Physique péripatéticienne, ténébreux repaire de l’erreur, venait de crouler sous leurs coups et que, sur les ruines de cette Physique, ils avaient bâti, comme par enchantement, la claire demeure de la vérité. De l’illusion sincère ou de l’erreur orgueilleusement volontaire de ces hommes, les hommes des siècles suivants furent dupes ou compli-