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LA RÉACTION DE LA SCOLASTIQUE LATINE

à la source de vie (fons vitæ) et que nous y sommes vivifiés. »

Le mot de Fons vitæ, qui termine ce passage, ramène notre attention

point écrit, nous n’en eussions pas moins été frappés de la ressemblance entre sa doctrine et celle du Rabbin. C’est la pensée d’Avicébron, c’est celle de Saint Augustin, c’est surtout celle de Jean Scot Erigène que nous retrouvons ici, que nous reconnaîtrions en toute cette Collatio de Saint Bonaventure et, particulièrement, en des passages comme ceux-ci[1] :

« Le Père joue le rôle de principe d’où se tire l’origine ; le Eils, de milieu qui fournit l’exemple ; l’Esprit-Saint, de complément qui termine…

» Le Père, de toute éternité, a engendré un Fils semblable à lui ; il s est exprimé lui-même, a exprimé sa ressemblance semblable à lui-même et, en même temps, a exprimé la totalité de son pouvoir ; il a dit tout ce qu’il pourrait faire et, surtout, tout ce qu’il a voulu faire ; il a exprimé toutes choses en celui-là, c’est-à-dire dans le Fils, dans cette Personne qui tient le milieu et qui est comme son art.

» Ce milieu est la Vérité… D’aucune manière aucune vérité ne peut être connue si ce n’est par cette Vérité-là ; car le principe de la connaissance est le même que le principe de l’existence. Selon le Philosophe, ce qui est connaissable, en tant qu’il est connaissable, est éternel ; rien donc ne peut être connu si ce n’est par la Vérité immuable, inaltérée et sans borne.

» Celui-là est nécessairement l’intermédiaire entre les autres personnes ; s’il y a une personne qui produit et n’est pas produite, s’il y a une personne qui est produite et ne produit pas, il faut nécessairement qu’il y ait une personne intermédiaire qui est produite et qui produit. »

À l’erreur d’Aristote, qui enseigne l’éternité du Monde sensible, Saint Bonaventure oppose cette vérité : Seul, le Monde des idées est éternel car, de toute éternité, Dieu le Père l’a exprimé en son Verbe.

Par là, « les choses temporelles[2] sont de toute éternité. En effet, les choses qui procèdent du Père en procèdent suivant un certain ordre, en sorte que telle d’entre elles soit cause de telle autre en l’ordre de la nature et en l’ordre du temps ; le Verbe,

  1. Sancti Bonaventuræ Op. laud., Collatio I, 12, 13 et 14 ; éd. cit., t. V pp. 331-332.
  2. Sancti Bonaventuræ Op. laud., Collatio III, 6 ; ed. cit., t. V, p. 344.