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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

De là, ensuite, cette affirmation « que tout arrive par hasard ou par une nécessité fatale. Comme, d’ailleurs, il est impossible que rien arrive par hasard, les Arabes en concluent la nécessité fatale ; ils admettent, en effet, que les substances qui meuvent les deux sont les causes nécessaires de tous les événements ».

De là découle encore une autre erreur, l’éternité du Monde, Pas plus que l’auteur du De erroribus philosophorum, Bonaventure ne veut qu’on innocente Aristote de cette erreur. « Il semble bien qu’Aristote déclare le Monde éternel ; c’est l’avis qu’ont eu, à son égard, tous les Grecs, comme Grégoire de Nysse, Grégoire de Nazianze, Damascène, Basile, et tous les commentateurs arabes ; ils disent tous qu’Aristote a pensé de la sorte, et les paroles d’Aristote semblent bien rendre le même son. Jamais vous ne l’entendrez dire que le Monde ait ou un principe ou commencement ; il y a plus, il réfute Platon qui, seul, paraît avoir admis que le temps a commencé. Cette opinion est contraire à la lumière de la vérité ».

Comment l’erreur de l’éternité du Monde découle-t-elle de cette autre erreur qui refuse à Dieu les idées universelles des choses, Bonaventure le dit en un autre endroit du même ouvrage. Il nous montre, en effet[1], que « les choses ont été produites, d’abord, de toute éternité, en l’art éternel de Dieu ; puis, en second lieu, en la créature intellectuelle : enfin, en troisième lieu, dans le Monde sensible,

« Et cela va contre les erreurs de ceux qui prétendent que le Monde a été créé de toute éternité. Comme nos âmes, en effet, ont une certaine affinité avec les lumières éternelles, ils imaginent que les choses produites ont été créées de tonte éternité dans ce Monde-ci de même qu’elles se trouvent, de toute éternité, décrites en l’art éternel ; de même que, de toute éternité, le Monde est décrit en l’art éternel, de même, pensent-ils qu’il est décrit [de toute éternité ; en la matière...

» Le Père, nous l’avons dit, a engendre son semblable, c’est-à-dire le Verbe qui lui est coéternel ; il a dit sa propre ressemblance et, par conséquent, il a exprimé tout ce qui était en son pouvoir.

» Le Verbe exprime donc, à la fois, le Père et les choses qui sont faites par le Verbe lui-même ; c’est lui surtout qui nous conduit à l’unité du Père qui réunit [en lui toutes choses] ; il est le bois de vie, car c’est par son intermédiaire que nous revenons

  1. Sancti Bonaventuræ Op. laud., Collatio I, 16 et 17 ; éd. cit., t. V, p. 332.