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LA RÉACTION DE LA SCOLASTIQUE LATINE

à l’ensemble des formes substantielles superposées pour en accroître le pouvoir de détermination ; la dernière forme substantielle avait déterminé l’espèce ; ce principe vient distinguer les divers individus au sein de l’espèce. Cette doctrine semble bien être l’aboutissant naturel de la méthode d’Avicébron. Avicébron, cependant, n’avait pas poussé jusqu’à ce corollaire son procédé métaphysique ; c’est en la matière, et non pas en une forme ultime, qu’il cherchait le principe de la multiplicité numérique et. de l’individuation ; Saint Bonaventure, en ses écrits antérieurs à l’Hexaëmeron, imitait la conduite d’Avicébron ; mais la tendance à faire du principe d’individuation une forme ou quelque chose d’analogue résultait trop fortement des principes posés par le rabbin de Malaga pour ne pas aboutir quelque jour en la philosophie de ceux qui enseignaient la pluralité des formes substantielles ; les disciples de Duns Scot et, surtout, Jean de Jandun, se chargeront d’affirmer ce corollaire à peine indiqué par le Docteur Séraphique.

Les choses universelles, a dit Saint Bonaventure, existent réellement en Dieu ; cette existence des idées en Dieu, il la regarde comme la doctrine même de Platon qu’il oppose à la doctrine d’Aristote.

C’est parce que les idées universelles sont en Dieu que Dieu est la cause exemplaire de toutes choses[1]. « Certains ont nié que les exemplaires des choses fussent en lui ; leur chef semble avoir été Aristote qui, au commencement de la Métaphysique, à la fin de cet ouvrage et en beaucoup d autres endroits, tient en exécration les idées de Platon. Il prétend que Dieu se connaît seulement lui-même, qu’il n’a besoin de connaître aucune autre chose, qu il meut à titre d’objet aimé et désiré. Scs disciples admettent qu il ne connaît rien, qu’il ne connaît aucune chose particulière. Ces idées platoniciennes], Artistote les combat aussi et surtout en son Éthique ; il y déclare que le souverain Bien ne peut être une idée. Mais ses raisons ne valent rien ; elles ont été résolues par un commentateur. «

De cette première erreur découlent, selon Saint Bonaventure, les principales erreurs d’Aristote et des philosophes arabes qui l’ont suivi.

De là, d’abord, la négation de la prescience et de la providence de Dieu.

1. Sancti Bonaventuræ Op. laud., Collatio VI, 1, 2, 3, éd. cit., t. V pp. 360-361.

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