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LA RÉACTION DE LA SCOLASTIQUE LATINE

particulières, la nature qui leur est commune. Enfin l’un qui résulte de la multitude se trouve en l’âme.

» D’ailleurs, l’un qui tend à la multitude, l’un qui réside en la multitude et l’un qui résulte de la multitude existent tous trois en l’art éternel [de Dieu]. C’est par cet art et cette raison de Dieu que chacune de ces trois unités est constituée en sa réalité.

» Il est clair, en effet, que deux hommes se ressemblent et qu’un homme n est pas un âne ; il faut donc que cette ressemblance ait pour fondement et pour support une certaine forme stable ; non pas la forme qui est seulement en l’un de ces deux hommes (in alter), car celle-là est particulière, mais bien une forme universelle.

» Cette raison universelle n’existe pas simplement en notre âme ; elle existe dans la chose, suivant l’ordre qui procède du genre à l’espèce ; nous avons, d’abord, commun entre nous, le caractère de substance, qui est le plus général, puis les autres caractères jusqu’à la forme d’homme qui est la toute dernière. »

Ce que Bonaventure entend affirmer en ce passage, c’est bien la thèse de la pluralité des formes substantielles, telle qu’Avicébron l’a soutenue, telle que Thomas d’Aquin l’a combattue. Nous en aurons la pleine assurance si nous poursuivons la lecture de la Collatio in Hexaëmeron :

« La division en puissance et acte donne lieu à beaucoup d’erreurs. Certains prétendent que l’acte n’ajoute rien à la puissance si ce n’est une manière d’être ; ce qui existait d’une manière incomplète existe maintenant d’une manière complète. Nous ne parlons pas ici de la puissance purement passive mais de celle qui, déjà, s’avance vers l’acte. En effet, comme, en toute créature, la puissance active est unie à la puissance passive, il faut que ces deux puissances aient pour fondement, en la réalité, deux principes distincts. »

Ces deux principes, Saint Bonaventure ne les définit pas plus explicitement ici, car il l’a fait maintes fois dans son œuvre. La puissance purement passive, c’est la matière première ; la puissance active, celle qui déjà s’avance vers l’acte, c’est la raison séminale ; cette raison séminale, «c’est 1 une forme qui existe en la matière, mais d’une existence incomplète, en puissance de produire plusieurs choses, et indifférente à l’une comme à l’autre de ces choses ».

1. Sancti Bonavexturæ In secundum librum Sententiarum Dist, XVIII, art. I, quæst. 3.