Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/83

Cette page n’a pas encore été corrigée
73
LA RÉACTION DE LA SCOLASTIQUE LATINE

ou réduit en éléments, n’est pas numériquement le même que le corps vivant ».

« À Paris, remarque Godefroid, les uns soutiennent que le cadavre de Pierre n’est pas numériquement le même que le corps vivant ; d’autres soutiennent le contraire ; et, à Paris, ni l’une ni l autre des deux opinions n’est jugée absolument erronée. »

Godefroid de Fontaines, d’ailleurs, n’a pu se donner à lui-même une conviction d’une rigueur absolue en cette question si controversée de l’unité ou de la pluralité des formes substantielles. L’un et l’autre parti présente des difficultés[1], soit que l’on veuille admettre en l’homme une seule forme substantielle et échapper à tout ce que i on objecte contre cette supposition, soit que I on veuille en admettre plusieurs et éviter les raisons contraires ; toutefois les objections faites à ceux qui en admettent plusieurs semblent plus difficiles à résoudre ».

Godefroid trace[2], d’ailleurs, la règle que la prudence et la charité prescrivent de suivre en des débats de ce genre :

« En des questions qui ont rapport à la Foi, mais qui ne lui appartiennent pas d’une manière manifeste ou ne la contredisent pas d’une façon évidente, il n’appartient pas à chacun déjuger, de décider, en déclarant sous une forme très affirmative : « Ceci ou cela est contraire à la Foi ». Ce qu’il est permis de dire, c’est : « Il ne me semble pas que ceci soit contraire à la Foi, bien que je tienne pour contraire à la Foi tout ce que l’Eglise juge communément lui être contraire »… Il ne faut pas dire à la légère que telle supposition répugne à la Foi, de peur que les choses qui sont de Foi n’en deviennent moins respectées, moins crues et moins étudiées ; de peur que l’on donne, à ceux <jui croient déjà, occasion d’hésiter dans la Foi, et que 1 on n ôte à ceux qui ne croient pas encore l’occasion d’accéder à la Foi. »

La sage conduite que Godefroid recommande n était pas, assurément, celle de tous les docteurs parisiens ; parmi ceux qui combattaient les théories de Thomas d’Aquin, on en trouvait[3] « qui diffamaient sa personne en même temps que sa doctrine et qui lui opposaient des outrages bien plutôt que des raisons. Ils trouvent, en plusieurs endroits des écrits de Thomas d’Aquin, que la matière ne peut exister sans la forme ; tout aussitôt, ils déclarent que cette proposition est non seulement fausse, mais erronée au sens théologique du mot ».

1. Godefroid de Fontaines, Op. laud., Quodlib. II, quæst. VII, p. 123.

2. Godefroid de Fontaines, loc. cit., p. 125.

3. Godefroid de Fontaines, Op, laud., Quodlib. I, quæst. IV ; p. 7.

  1. 1
  2. 2
  3. 3