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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

« Ce serment ne paraît pas raisonnable, qui force un homme à résoudre des arguments. Il peut arriver, en effet, qu’à un régent fidèle, on oppose un argument qui conclut en sens contraire de la décision de l’Église et qu’on lui demande comment il le faut résoudre. Mais à cela, on répondra que si le maître ne sait pas résoudre un tel argument, il ne doit pas le formuler publiquement devant ses élèves ; à faire autrement, il serait parjure s’il a juré ; et, à supposer qu’il n’eût pas prêté serment, il pècherait. Qu’ils prennent donc garde, les précepteurs des artistes parisiens qui, çà et là, touchent à des questions théologiques ! Pour moi, tout insuffisant et indigne que je sois, je ne me souviens pas d’avoir fait un tel serment lorsque je fus promu au grade de maître-ès-arts, et je ne me souviens pas d’avoir entendu dire qu’aucun de mes compagnons ait juré quoi que ce soit d’analogue. Mais, hélas ! cette louable coutume de l’Université a eu le même sort que les autres. »

En 1511, donc, époque où Louis Coronel publiait son livre, les maîtres-ès-arts n’étaient plus tenus par serment à se tenir à l’écart des discussions théologiques ; mais ils y étaient tenus, au temps de Buridan, et les docteurs en théologie le leur rappelaient au besoin. On ne saurait donc s’étonner que le philosophe de Béthune ne nous ait pas fait connaître ses raisons de croire aux enseignements de l’Église comme il avait exposé ses motifs d’acquiescer aux principes de la Physique.

Du moins, Buridan nous a-t-il fait connaître, avec une admirable clarté, la nature et le degré de la confiance qu’il convient d’accorder aux principes de la Physique ; ces principes, même les plus importants et les plus généraux, même celui qui décompose toute substance en matière et forme, ne sont aucunement des vérités nécessaires que l’on ne saurait nier sans absurdité ; ce sont des propositions tirées de l’expérience ; on les a reconnues exactes en un grand nombre de cas particuliers : on n’a point trouvé de circonstances où elles fussent contredites ; alors l’intelligence, poussée par une tendance naturelle au vrai, en a proclamé l’universalité.

Avec une grande netteté, avec une grande précision. Buridan nous a décrit sa méthode philosophique. Elle se reconnaît, eu Métaphysique, incapable de donner des démonstrations qui concluent d’une manière irréfutable ; elle s’inclinera donc humblement devant les enseignements de la Foi qui seuls, aux questions essentielles, sont en état de donner des réponses assurées. Elle se reconnaît, en Physique, impuissante à découvrir a priori