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L’ÉCLECTISME PARISIEN

l’ai dit, je ne crois pas que cela m’ait été démontré ni que cela soit démontrable par des raisonnements prenant leur point de départ dans les sens. »

Que manque-t-il à tout cet exposé de la doctrine de Buridan ? L’indication des raisons qui lui font ajouter foi aux enseignements de l’Église. De ces raisons, Jean de Jandun n’avait dit qu’un seul mot, mais ce mot était significatif ; « tout, dans notre Religion, avait-il écrit, est prouvé par les miracles de Dieu. » Des motifs de sa croyance, Buridan ne nous dit rien. De ce silence absolu, l’explication se doit sans doute demander à la sévérité des règlements de l’Université ; simple maitre-ès-arts, Buridan avait défense d’aborder, en son enseignement, les discussions propres à la Théologie.

À propos de cette question : Dieu pourrait-il faire qu’une étendue demeurât vide ? notre philosophe écrit[1] :

« Quelques-uns de mes seigneurs et maîtres en Théologie m’ont reproché de mêler parfois certaines considérations théologiques à mes questions de physique, alors qu’il n’appartient pas aux artistes de traiter ces questions. Je réponds avec humilité que je voudrais bien n’ètrc pas astreint «à le faire. Mais tous les maîtres, au moment de l’épreuve de l’inceptio in artibus, jurent qu’ils ne disputeront, à titre d’objet que la discussion doit déterminer (utpote determinate), aucune question théologique, l’incarnation par exemple ; ils jurent, en outre, que, s’il leur arrive de discuter ou de décider de quelque question qui touche à la Foi et à la Philosophie, ils la trancheront conformément à la Foi et résoudront les objections de la façon suivant laquelle elles leur sembleront devoir être résolues. » Par ce serment, d’ailleurs, les artistes s’engageaient simplement à respecter le statut universitaire édicté en 1272[2].

L’usage de ce serment linit par tomber en désuétude à l’Université de Paris. Un maitre-ès-arts parisien du commencement du xvie siècle Louis Coronel, de Ségovie, rapporte et commente longuement, en ses Perscrutationes physicæ, le passage de Buridan que nous venons de citer ; à ce propos, il écrit[3] :

  1. Johannis Buridani Op. laud., lib. IV, quæst. VIII, fol. LXXIII, col. d, et fol. LXXIV, col. a.
  2. Denifle et Châtelain, Chartalarium Uuiversitatis Parisiensis, t. I. p. 499.
  3. Physice perscrutationes magistri Ludovici Coronei Hispani Segoviensis Prostant in edibus Joannis Barbier librarii jurati Parrhisiensis academie sub signo ensis in via regia at divum Jacobum. Au verso du titre, lettre datée : Parrhisiis, MDXI. — Une autre édition, que nous n’avons pu consulter, est intitulée : Physice perscrutationes egregii interpretis magistri Ludovici Coronei. Elle fut donnée : Lugduni in edibus J. Giunti, 1530. — Lib. IV ; secunda pars quæ est de vacuo ; éd. MDXI, fol. LXXXV, col. a.