Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/736

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
726
LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

comme un principe ; sinon, en effet, vous ne pourriez prouver ni que tout feu est chaud ni que toute rhubarbe purge de la bile ni que tout aimant ou tout acier aimante attire le fer. Ces inductions ne sont pas des démonstrations ; elles ne concluent pas par un raisonnement en forme, car il n’est pas possible d’induire sur tous les sujets. C’est ainsi qu’il est dit, au second livre des Seconds Analytiques, que beaucoup de principes indémontrables nous sont rendus manifestes par le sens, la mémoire ou l’expérience. L’expérience tirée d’un grand nombre de sensations et de souvenirs, c’est l’induction pratiquée sur un grand nombre de sujets singuliers ; par suite do cette induction, l’intelligence qui ne voit aucune objection (instantia) ni aucune raison d’en faire est forcée, par son inclination naturelle à la vérité, de concéder la proposition universelle. Celui qui ne voudrait pas, en Physique et en Morale, accorder de telles propositions établies par induction (declarationes) ne serait pas digne d’avoir grande part à ces sciences.

» Mais, direz-vous, il m’apparaît bien qu’on ne fait jamais de feu si ce n’est avec du bois, de la paille ou quelque autre corps ; mais il ne m’apparaît pas que ce bois joue le rôle de sujet en ces transformations. Je vous répondrai que cela s obtient encore par induction (infertur). En effet, on ne voit aucune raison ou nécessité en vertu de laquelle ces corps préexistants seraient requis si quelque chose de leur substance ne se convertissait en ce qui est produit et ne demeurait en ce produit ; ce quelque chose, c’est le sujet ou la matière. C’est pour cela qu’Aristote conclut à la composition aussi bien de ce qui est produit (car quelque chose est acquis) que de l’objet aux dépens duquel le produit est obtenu (car quelque chose est détruit ; et il y a quelque chose qui demeure en l’un comme en 1 autre). Autrement, il n’y aurait pas de nécessité à ce qu’une chose qui est faite soit faite à partir d’une autre chose préexistante.

» Il est vrai que le Commentateur a peiné pour démontrer autrement ladite conclusion ; qui plus est, il a peiné pour démontrer, contrairement à notre foi et à la vérité, qu’à la puissance divine elle-même il est impossible de faire quelque chose sans sujet préexistant. »

Buridan expose alors les cinq raisonnements du Commentateur et, de chacun d’eux, il prouve qu’il est sophistique ; puis il ajoute : « Il est vrai, et il faut croire fermement que Dieu peut faire et créer les êtres du néant, c’est-à-dire sans aucun sujet préexistant sur lequel son action s’exerce ; bien plus ! c’est lui qui a créé le premier sujet, qui est la matière première ; toutefois, comme je