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L’ÉCLECTISME PARISIEN

raison fournie par les sens, être convaincus d’une manière évidente qu’il existe une telle puissance ; en eflet, il ne se manifeste à nous aucun mobile plus grand que le Ciel ni aucune vitesse plus grande que la vitesse du mouvement diurne ; Aristote n’a donc pas pensé que Dieu pùt mouvoir un plus grand mobile ni le mouvoir avec une plus grande vitesse. »

En ces passages, Buridan se contente d’indiquer, d’une façon très sommaire, la raison pour laquelle le chrétien ne se doit pas mettre en peine des affirmations, contraires à sa foi, que profère la philosophie péripatéticienne. Il pouvait procéder avec cette concision, car en une circonstance précédente[1], il avait donné toute ampleur au développement de sa pensée. Citons cette page où le philosophe de Béthune affirme de nouveau la véritable nature des principes de la Physique.

Il s’agit de la redoutable question de la création ex nihilo : « Est-il nécessaire que tout ce qui se fait soit fait à partir d’un sujet préalablement existant aux dépens duquel ou au sein duquel il est fait ?

» Alors, moi, je pose deux conclusions :

» Première conclusion : Il est possible que quelque chose soit fait sans être fait à partir d’un sujet préexistant aux dépens duquel ou au sein duquel il soit fait. Cette conclusion-la, je la crois par foi et sans aucune preuve autre que l’autorité de la Sainte Écriture et des docteurs de la foi catholique. C’est de cette manière, en effet que Dieu a créé les anges, le Ciel et le Monde. C’est cette conclusion qu’entendent formuler ceux qui disent : quelque chose peut être fait du néant.

» Voici la seconde conclusion : Tout ce qui se fait d’une manière naturelle est nécessairement fait aux dépens d’un sujet préexistant ou bien dans un sujet préexistant ; la forme, en effet, n’est pas faite intégralement aux dépens d’un sujet préexistant, mais elle est faite en un sujet préexistant.

» Je ne pense pas, toutefois, que cette conclusion soit démontrahie ; elle peut seulement être éclaircie par une induction à l’encontre de laquelle on n’a trouvé aucune contradiction (Sed tamen non puto quod hœc conclusio sit demonstrabilis ; sed est declarabilis per induction in qua non inventa est instanti). C’est de la sorte, en effet, qu’Aristote prouve cette conclusion. Or une telle conclusion doit être, en Physique, regardée

  1. Johannis Buridani Op. laud., lib. I, quæst. XV, loi. XVIII, col. d, et fol. XIX, coll. a et b.