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L’ÉCLECTISME PARISIEN

C’est encore à l’unisson de la Métaphysique occamiste que sonnent les propos que voici[1] :

« D’après le quatrième livre de la Métaphysique, il faut remarquer qu’en aucune chose, l’existence (esse) ne diffère de l’essence ni l’essence de l’existence : que l’entité ne diffère pas non plus de l’être (ens) ni l’être de l’entité. L’essence de l’homme n’est pas autre chose que l’existence de l’homme (hominem esse) et l’existence de l’homme, c’est l’homme qui existe : partant, l’essence de l’homme, c’est l’homme qui existe. Aussi ne faut-il pas croire que la forme substantielle de l’homme soit l’essence de l’homme ; elle appartient seulement à l’essence de l’homme, à titre de partie, et de partie principale, de cette essence ; et de même, la matière de l’homme n’est pas l’essence de l’homme ; elle appartient à cette essence… On en doit dire autant de l’entité et de l’être (ens), car l’entité de l’homme, c’est l’existence de l’homme, et l’être de l’homme, ce n’est pas autre chose que l’homme. »

Au moment de commenter cette question de la Somme théologique : [2] « L’essence est-elle, en Dieu, la même chose que l’existence ? » le cardinal Cajétan écrit : « Sachez que cette question est extrêmement subtile, et propre aux anciens métaphysiciens ; elle est, au contraire, fort étrangère à nos petits modernes (a modernulis valde aliena) ; ils tiennent, en effet, qu’en toutes choses, et non pas seulement en Dieu, l’essence s’identifie avec l’existence. »

Le problème de la distinction entre l’essence et l’existence a eu même sort que le problème de l’individuation ; après avoir passionnément retenu l’attention des métaphysiciens, après avoir reçu d’eux les solutions les plus variées, après les avoir maintes fois mis aux prises, ces deux problèmes ont fini par être considérés comme de pures querelles de mots. Guillaume d’Ockam a exécuté la besogne que beaucoup d’autres avaient préparée ; il a débarrassé la Philosophie de ces deux questions ; ce n’est pas Buridan qui l’en blâmera.


F. — Les rapports du Dogme et de la Philosophie.


Chez Ockam et chez Buridan nous trouvons même méfiance à l’égard de la raison naturelle, même confiance à l’égard de

  1. Johannis Buridani Quæstiones in libros Physicorum, lib. I, quæst. XX, fol. XXIV. col. b.
  2. Sancti Thomæ Aquinatis Summa theologica, Pars Ia, quæst. III, art. IV.