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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

Guillaume d’Ockam oriente notre auteur en la solution de ce problème.

Il commence, en effet, par déclarer que cette question n’a point de sens si on l’entend des choses mêmes et non pas des concepts de ces choses ; par elles-mêmes, les choses sont individuelles : il n’y a pas à chercher ce qui les contracte en individus.

« Il nous faut voir tout d’abord, écrit-il, ce qu’il faut entendre par ces mots : Contracter l’espèce en individus, ou bien encore : Contracter le genre en espèces.

» Et, en premier lieu, nous devons déclarer que cette contraction ne concerne pas les choses concrètes séparées des concepts qui les représentent ; car, de cette façon-là, l’homme ou l’animal ou le corps ou la substance existe sous forme singulière, à la manière de Socrate ou de Platon, par exemple ; il n’y a, en effet, rien qui soit homme, si ce n’est Socrate, Platon, etc.

» Puis donc que l’homme ou l’animal est une chose qui existe sous forme singulière, alors môme qu’on en sépare toute autre chose, il est manifeste que cette chose n’a pas besoin de subir une certaine contraction qui la réduise à exister sous forme singulière.

» Il faut donc déclarer que les contractions dont nous voulons parler doivent être comprises comme ayant trait aux concepts ou aux termes qui les signifient… Ainsi dira-t-on que le terme qui désigne l’espèce est contracté en terme singulier par une certaine différence qui restreint le terme spécifique et l’amène à désigner ce seul individu que désigne le terme singulier…

» Je conclus alors que les différences par lesquelles les individus d’une même espèce nous apparaissent comme distincts les uns des autres sout des différences accidentelles ; ce sont des différences qui portent sur certains accidents, sur certaines propriétés extérieures de ces sujets individuels…

» Néanmoins, nous devons affirmer que les individus d’une même espèce, comme Socrate et Platon, diffèrent substantiellement les uns des autres, qu’ils se distinguent par leurs substances mêmes, par leurs formes aussi bien que par leurs matières ; en effet, la forme de Socrate n’est pas la forme de Platon et la matière de Socrate n’est pas la matière de Platon.

« Mais, toutefois, de ces différences-là nous ne pouvons juger sinon par la diversité des propriétés extérieures. »