Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/731

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
721
L’ÉCLECTISME PARISIEN

noble ; en cette confusion, elle peut mettre la distinction. Après que nous avons perçu que cette pierre peut se trouver ici ou se trouver là, qu’elle peut être noire ou être blanche, nous reconge n ce pourra donc abstraire l’image (species) ou la notion (noticia) de la pierre de l’image ou notion de telle ou telle situation, [de telle ou telle couleur] ; la pierre est, dès lors, conçue sans qu’on la conçoive aucunement comme étant ici ou la, [comme étant blanche ou noire] ; désormais, c’est toute pierre, et non pas cette pierre plutôt que cette autre, qui se trouve indilféremment connue de l’intelligence, en un concept commun.

» Par tout ce qui vient d’être dit, il m’apparaît que l’on peut déterminer la question principale en disant : L’intelligence connaît les choses d’une façon singulière avant de les connaître d’une façon universelle ; cela, parce que le sens, tant extérieur qu’intérieur, ne connaît uuc chose qu’en la contondant avec la situation qu’elle occupe, etc., et de la manière selon laquelle elle se présente à la perception de celui qui la doit connaître ; dès lors, le sens présente l’objet sensible à l’intelligence sans dissiper cette confusion ; et ainsi que l’objet est tout d’abord présenté à l’intelligence, ainsi la chose est-elle, en premier lieu, connue par cette intelligence ; l’intelligence peut donc connaître la chose accompagnée de la confusion dont nous avons parlé ; elle la connaît alors comme singulière. Il apparaît aussi parce que nous avons dit que l’intelligence conçoit d’une manière universelle à l’aide de l’abstraction…

» Certains imaginent que l’intelligence, étant immatérielle, est naturellement apte à connaître ainsi, tout d’abord, d’une manière universelle ; puis que l’intelligence se réfléchit sur le sens et qu’à la suite de cette réflexion, elle connaît d’une manière singulière… Mais cette opinion et les termes en lesquels on l’énonce sont fort étranges. » C’est à Saint Thomas d’Aquin et aux thomistes que ce jugement est destiné.

« Ces réflexions diverses sur la connaissance des universaux nous conduisent tout naturellement au problème de l’individuation, que Buridan pose en ccs termes[1] : « Dans les diverses substances, l’espèce se trouve-t-elle contractée en individus par quelque différence substantielle ou accidentelle ? » L’esprit de

  1. Joannis Buridani Qaæstiones in Metaphysicen Aristotelis, lib. VII, quæst. XVII ; fol. LII, coll. b et c.