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L’ÉCLECTISME PARISIEN

Les universaux existent-ils séparément des choses singulières ?

Buridan présente, tout d’abord, la théorie des idées platoniciennes telle qu’Aristote l’a formulée et condamnée ; lui aussi, il la condamne sévèrement : « On voit de suite qu’une telle opinion est tout à fait absurde. » Mais il ne pense pas qu’il faille attribuer à Platou un sentiment aussi ridicule. « Assurément, nous ne devons pas croire que Platon ait jamais regardé comme des choses distinctes et séparées l’une de l’autre, ces deux choses que désignent les deux mots Socrate et homme, et au sujet desquelles il est vrai d énoncer cette proposition : Socrate est homme.

» Nous devons croire que Platon avait, au [sujet des universaux], une opinion semblable à celle que professait le Commentateur au sujet de l’intelligence humaine.

» Platon disait donc que l’humanité ou l’animalité est une me séparée des hommes singuliers on des animaux singuliers ; que cette forme demeurait une seule et même forme, et que, cependant, tous les hommes étaient hommes par cette humanité, tous les animaux étaient animaux par cette animalité ; Platon nous eût donc assurément accordé que Platon était un autre homme que Socrate, tout en affirmant que Socrate et Platon sont hommes par la même humanité. »

Tel est, selon Buridan, le réalisme modéré et sensé que l’on doit attribuer à Platon. Que telle n’ait pas été la doctrine de Platon, il serait facile de le prouver ; mais il est également facile de reconnaître, en ce réalisme, celui que professait Walter Burley et qu’il portait au compte d’Aristote et d’Averroès.

Quoi qu’il en soit, Buridan pense « qu’il ne faut pas soutenir cette opinion. » Il en donne plusieurs raisons dont voici la dernière :

« Cet homme et cet âne ne diffèrent pas seulement l’un de l’autre, d’uue manière intrinsèque, par leurs matières ; ils possèdent, en outre, des accidents fort divers, des opérations naturelles fort diverses, accidents et opérations qui, d’une manière sensible, nous apparaissent différents et de natures distinctes ; il nous suffit de dire que ce par quoi l’un est homme et ce par quoi l’autre est âne, ce sont ces caractères qui, outre leurs matières, les rendent ainsi différents l’un de l’autre, et cela en laissant de côté tous les [universaux] séparés. Ainsi parce qu’un individu

    tissima cura et correctione ac emendatione în formam redactç fuerunt in ultima prçlectione ipsius Recognile cursus accuratione et impensis Iodoci Badii Ascensii ad quartum idus Octobris. MDXVIII Deo gratias, Lib. VII, quæst. XV, fol. L, coll. b, c, d, et fol. LI, col. a.