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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

Nous le lui entendrons rappeler, par exemple, lorsqu’il voudra établir que le vide ne peut être produit d’une manière naturelle ; voici ce qu’il dira à ce propos[1] :

« En Physique, toute proposition universelle doit être accordée comme un principe lorsqu’elle peut être prouvée par induction expérimentale, et cela de la manière suivante : En un certain nombre de cas singuliers, on trouve manifestement que cette proposition est vérifiée et si jamais, en aucun cas singulier, elle ne rencontre d’objection. Aussi Aristote dit-il fort bien que nous recevons et connaissons une multitude de principes par le sens, la mémoire et l’expérience. Il y a plus ! Nous n’avons pas pu savoir d’une autre manière[2] que tout feu est chaud.

» C’est par une telle induction expérimentale qu’il nous apparaît qu’aucun lieu n’est vide. Partout, en effet, nous trouvons quelque corps naturel, soit de l’air, soit de l’eau, soit autre chose. Nous expérimentons, en outre, que nous ne pouvons séparer deux corps l’un de l’autre sans qu’un troisième corps vienne se mettre entre eux. Si, par exemple, on bouchait tous les trous d’un soufflet si parfaitement que l’air n’y pût pénétrer, nous ne pourrions jamais soulever, en les écartant l’une de l’autre, les parois du soufflet ; vingt chevaux même n’y parviendraient pas, alors que dix d’entre eux tireraient d’un côté et dix de l’autre ; jamais les parois du soufflet ne se sépareraient l’une de l’autre, à moins qu’il ne se produisit quelque rupture ou quelque perforation qui permit à un autre corps de se glisser entre elles. Vous expérimentez encore la même chose avec un chalumeau dont vous mettez un orifice dans du vin et dont vous portez l’autre orifice à votre bouche ; en aspirant l’air qui se trouve dans le chalumeau, vous attirez le vin, vous le mouvez vers le haut, bien qu’il soit grave ; il faut, en effet, qu’un autre corps suive immédiatement l’air que vous aspirez, afin qu’il n’y ait pas de vide. Il y a une foule d’autres expériences mathématiques (?) analogues.

» Nous devons donc accorder que le vide ne peut pas exister naturellement, à titre de proposition connue par la méthode qui suffit a poser et à concéder les principes en Physique. G est par cette induction que l’on tient qu’il n’y a pas de vide… Toujours, en elfet, nous voyons que les corps naturels se suivent les uns les autres en se touchant ; jamais ils ne laissent entre eux aucun

  1. Johannis Buridani Op. laud., lib. IV, quæst. VII, fol. LXXXIII, col. c.
  2. Au lieu de : alio modo, le texte porte : aliquando.