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L’ÉCLECTISME PARISIEN

À plusieurs reprises, Buridan a invoqué l’autorité des Seconds Analytiques ; on y trouverait, en effet, particulièrement en ce qu’Aristote dit de l’induction, maint texte propre à confirmer l’opinion du philosophe de Béthune ; c’est assez dire qu’on en trouverait également chez ceux des Scolastiques qui, depuis Robert Grosse-Teste, ont commenté les Seconds Analytiques ou s’en sont inspirés ; il est bien clair, d’ailleurs, que les maîtres de l’École n’ont pu philosopher sans recourir sans cesse, d’une manière plus ou moins consciente et avouée, à l’induction. Ce n’est donc pas par la lettre que la doctrine de Jean Buridan s’écarte de la tradition péripatéticienne ; c’est par l’esprit.

Organon avait été connu, de la Chrétienté latine, bien longtemps avant les Seconds analytiques. Pendant des siècles, on s’était appliqué, dans les écoles, à syllogiser suivant les règles du Philosophe, avant de connaître ce qu’il avait pu dire de l’induction. Par les exercices dialectiques du Trivium, la Logique aristotélicienne avait fait des Scolastiques des raisonneurs avant tout ; ils n’accordaient leur confiance qu’au syllogisme rigoureusement déduit ; consequentia tenet ! tel était le cri par lequel leur raison manifestait la satisfaction d’avoir conquis la vérité ; s’ils pratiquaient l’induction, c’est à regret et comme en cachette ; ils avaient honte de n’avoir pas à produire une déduction probante.

Ce qui caractérise la doctrine de Buridan, c’est la joie franche avec laquelle elle constate, en notre intelligence, la faculté de saisir la vérité, de fuir l’erreur, et cela d’une manière immédiate, sans passer par les détours du raisonnement ; c’est la fierté avec laquelle elle annonce cc penchant naturel au vrai comme une marque de la noblesse de notre esprit.

Ce changement d’attitude a sa raison d’être ; la confiance exclusive eu la méthode déductive, incapable, à elle-seule, d’assurer la certitude à la Philosophie, avait abouti au désastrequi se pouvait prévoir ; la Philosophie tout entière sombrait, engloutie par le Scepticisme d’Ockam et de Nicolas d’Autrecourt ; en cette appréhension directe du vrai qui est l’induction, Jean Buridon reconnut la planche de salut ; il la prit pour soutien de la Science.


D. — La méthode inductive en Physique.


L’induction seule peut établir les principes nombreux sans lesquels la déduction serait impuissante à prouver aucune vérité. Trop clairement notre auteur a formulé cet axiome pour qu’il risque de le perdre de vue au cours de ses recherches diverses.