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L’ÉCLECTISME PARISIEN

forme de cette proposition, sans la mineure, non plus que de la mineure sans la majeure. Mais de cette proposition : A est B, résulte que A est [sans aucune intervention de la majeure : B est]. Donc cette proposition : A est B, ne peut servir de prémisse à un syllogisme destiné à démontrer que A est.

» Aristote, leur objecte-t-on, a cru démontrer l’existence d’une matière première, d’un premier moteur, d’une première cause, en démontrant qu’il est nécessaire de s’arrêter dans la série des causes ; ils répondent qu’il n’en est pas ainsi ; Aristote, à leur avis, a simplement démontré qu’une certaine matière est la matière première, qu’un certain moteur est le premier moteur, qu’une certaine cause est la première cause.

» Je ne crois pas que cette opinion soit vraie et je lui oppose deux conclusions.

» La première est qu’il y a des sujets dont on peut démontrer ce verbe : est, pris comme second adjacent. »

Laissons de côté les considérations par lesquelles Buridan, à l’encontre de quelques émules de Nicolas d’Autrecourt, établit cette première conclusion, et venons de suite à celle qu’il oppose à Nicolas d’Autrecourt lui-même.

« La seconde conclusion que je formule contre eux, dit-il[1], c’est qu’il n’est pas nécessaire que toute prémisse de démonstration soit connue et rendue évidente par réduction au premier principe. Il y a, en effet, une foule de principes de démonstrations qui nous sont connus par le sens ou par la mémoire ou par l’expérience, sans qu’il faille les démontrer autrement, comme on le voit par le second livre des Seconds Analytiques.

» En outre, on ne peut procéder à l’infini dans la suite des démonstrations, comme le montre le premier livre des Seconds Analytiques. Il est donc nécessaire d’arriver à une [première] démonstration dont les prémisses ne soient, ni l’une ni l’autre, démontrées ni démontrables ; et comme, à cette démonstration, il faut au moins deux prémisses, ou bien ni l’une ni l’autre de ces deux prémisses ne sera le premier principe, ou bien l’une au moins d’entre elles ne sera pas le premier principe ; quelle que soit l’alternative que l’on adopte, cette prémisse qui n’est pas le premier principe est connue et suffit à démontrer sans qu’elle ait besoin d’être prouvée par le premier principe.

» Il y a plus ; au premier livre des Seconds Analytiques, Aristote démontre que, nécessairement, les principes indémontrables

  1. Buridan, loc. cit., fol. V, col. d.