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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

disciple d Ockam prêtait à son maître, celles aussi que Nicolas d’Autrecourt formulait avec une si tranchante netteté. Ces thèses, Buridan se propose de les combattre ; c’est à la dernière qui ! s’attaque tout d’abord.

« Je ne donne pas mon assentiment à cette opinion, dit-il, et, contre elle, je pose deux conclusions :

» Voici la première : Il est des connaissances incomplexes qui se forment au moyen d’autres connaissances incomplexes.

» Il y a, en effet, des connaissances intellectuelles inconiplexes ; or toute connaissance intellectuelle se forme à partir d’une autre connaissance ; il y a donc des connaissances incomplexes qui se forment à partir d’autres connaissances. Il faut bien qu’on accorde la majeure de ce raisonnement ; et si quelque chercheur de chicanes la voulait nier, il accorderait bien, du moins, qu’il existe quelque connaissance intellectuelle complexe ; or il faut que cette connaissance complexe soit composée de connaissances simples ; en effet, elle ne se divise pas à l’infini, à la façon d’un continu ; d’autre part, la connaissance intellectuelle n’est pas composée de connaissances sensibles ; donc cette connaissance intellectuelle complexe est composée de connaissances intellectuelles simples. La mineure de notre raisonnement principal est également manifeste ; en effet, il faut, tout au moins, que la première connaissance intellectuelle se forme à partir d une connaissance sensible ; et, d’une manière entièrement générale, il faut que toutes nos connaissances intellectuelles se forment, d’une manière médiate ou immédiate, au moyen de la connaissance sensible…

» Notre seconde conclusion est celle-ci : De la substance, nous avons un concept simple, car le concept d’homme, d’où se tire ce terme : l’homme substantiel, est un concept de substance. »

Buridan fait clairement constater à ses adversaires que leurs conclusions sont inacceptables ; mais où donc gît le défaut qui rend caduque toute leur critique ? Ce défaut, il ne le mettra pas moins nettement en évidence. Ils ont admis que l’esprit humain n’avait à sa disposition, pour passer d’une connaissance à une autre connaissance, qu’une seule voie, celle du raisonnement ; et c’est de l’analyse du raisonnement que leurs thèses ont tiré tout ce qui les appuie. Le philosophe de Béthune vise tout aussitôt à la ruine de ce fondement.

« Une connaissance, dit-il[1], peut se tirer d’une autre sans

  1. Buridan, loc. cit., fol. V, coll. b et c.