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L’ÉCLECTISME PARISIEN

cienne de la connaissance ? Ou bien, ces critiques, les tient-il pour nulles et non avenues ?

Ces critiques, Buridan va nous montrer qu’il les connaît tort bien ; il va nous dire, aussi, pourquoi il les regarde comme sans efficacité.

Il sait que divers philosophes ont soutenu cette opinion[1] : « Il paraît universellement impossible que, de la connaissance d’une chose, nous puissions tirer la connaissance d’une autre chose. » Des arguments invoqués en laveur de cette opinion, il présente une énumération qu’il conclut en ces termes : « Je me reprends à prouver qu’une chose ne nous peut être connue par une autre chose. D’une chose à une autre, en effet, on ne peut passer par une déduction évidente, pour la raison suivante : Une déduction n’est évidente que par réduction au premier principe ; or une telle déduction ne peut être ramenée au premier principe, car le fondement du premier principe, c’est la contradiction, et la contradiction ne peut être que du même par rapport au même, aussi bien selon la chose que selon le mot (et contradictio debet esse ejusdem de eodem et secundum rem et secundum nomen) ; si donc A et B sont différents l’un de l’autre, jamais il ne pourra être contradictoire que A soit et que B ne soit pas ; partant, la déduction qui dit : A est, donc B est, ne saurait être évidente… »

« Cette question, poursuit Buridan, et les arguments cités à son endroit impliquent en eux plusieurs difficultés. Une de ces difficultés est la suivante : La connaissance d’une chose peut-elle provenir de la connaissance d’une autre chose ? Il y a deux sortes de connaissances : La connaissance incomplexe et la connaissance complexe. Or, au sujet de la connaissance incomplexe, certains disent qu’aucune connaissance incomplexe n’est produite par une autre ; une connaissance, en effet, ne se forme pas à partir d’une autre si ce n’est en vertu d’un raisonnement (consequentia) ; mais un raisonnement va toujours du complexe au complexe.

» En second lieu, ces personnes déduisent de là, à titre de corollaire, que nous ne connaissons aucune substance par connaissance incomplexe ; nous ne parvenons, en effet, à la connaissance des substances que par la connaissance des accidents, partant, en vertu d’un raisonnement, raisonnement qui ne peut porter que sur des complexes. »

En ces thèses, nous reconnaissons clairement celles que le

  1. Johannis Buridani Op. laud., lib. I, quæst. IV, fol. IV, col. d, et fol. V, col. a.