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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

science. On peut dire que ce défaut est la source de presque tous les autres que nous remarquerons. Et ainsi il n’est pas nécessaire de l’expliquer davantage, parce que nous le ferons assez dans la suite. » Et en effet, cette observation est comme la source de toute l’étude critique qu’Arnauld et Nicole, inspirés par Descaries, font de la méthode mathématique. Assurément, il n’est aujourd’hui aucun géomètre qui ne reconnaisse la justesse de leurs préceptes et qui ne s’efforce d’y conformer ses déductions. Mais les auteurs de La Logique et Descartes se doutaient-ils qu’ils venaient de développer une remarque formulée au xive siècle par Jean Buridan ?

Parmi les réflexions sur la méthode mathématique que nous avons rapportées, il en est plus d’une que l’on retrouverait en VEsprit géométrique ; et, bien souvent, le philosophe de Béthune pourrait, sans trop de désavantage, soutenir la comparaison avec Pascal.

Au xive siècle, on trouve des logiciens qui ont parlé des principes des Mathétiques avec une justesse et une précision inattendues ; plus d’une fois, Walter Burley, Grégoire de Rimini, Jean Buridan, Albert de Saxe nous étonneront par la rigueur avec laquelle ils discourent de notions aussi délicates que la notion de limite ou la notion d’infini mathématique ; au xviie siècle, les grands inventeurs du calcul infinitésimal seront bien loin d’atteindre à cette parfaite exactitude de la pensée et du langage.

Nous avons taxé cette exactitude d’inattendue et de surprenante ; en effet, devait-on l’espérer d’hommes qui n’avaient, en Arithmétique et en Géométrie, que les connaissances les plus élémentaires ? Pour que leur indigence en faits mathématiques s’alliât à une pareille maîtrise en l’art de discuter les principes, il fallait que les exercices de logique formelle, accomplis au cours du trivium, eussent singulièrement trempé, affiné et assoupli la raison de ces hommes.


C. — Jean Buridan et la théorie occamiste de la connaissance.


Nous avons entendu, jusqu’ici, Jean Buridan émettre, au sujet des diverses sciences, des réflexions pleines de sens et de pénétration ; mais il n’est rien, en ccs réflexions, qui ne s’accorde fort bien avec la tradition péripatéticienne. Le philosophe de Béthune ignore-t-il donc les vives critiques qu’un Guillaume d’Ockam, qu’un Nicolas d’Autrecourt ont adressées à la théorie aristotéli-