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L’ÉCLECTISME PARISIEN

Il est bien vrai que la Lune est éclipsée parce que la Terre est interposée entre le Soleil et la Lune ; niais, à proprement parler, il n’est pas vrai que la somme des angles d’un triangle vaille deux angles droits parce que l’angle extérieur est égal à la somme des angles inférieurs non adjacents, car cela aurait lieu lors même qu’il n’y aurait pas d’angle extérieur.

» Bien que, de la part des choses signifiées par les termes de la démonstration, il n’y ait pas relation de cause à effet, nous avons coutume d’appeler ces démonstrations mathématiques des démonstrations propter quid parce (pie nous portons seulement notre attention sur la causalité d’une connaissance à l’égard d’une autre connaissance ; nous nommons alors démonstration propter quid celle qui, à partir de propositions naturellement plus évidentes et mieux connues, procède à des propositions douteuses et inconnues qu’elle nous fait connaître par le moyen de ces propositions mieux connues.

» Ainsi en est-il en Mathématiques. Mais là où c’est entre les choses mêmes qu’il y a relation de cause à effet, c’est tout autrement que nous distinguons la démonstration propter quid de la démonstration quia. »

Si l’on songe au caractère artificiel de la plupart des démonstrations de la Géométrie ancienne ; si l’on observe combien rares étaient les circonstances où, pour établir une proposition, elle faisait appel à des prémisses qui rendissent manifestes la cause et la raison d’être de cette proposition, on ne peut pas ne pas être frappé de la justesse des remarques de Buridan.

La Logique de Port-Royal a donné, sur la Méthode, un traité dont les auteurs écrivaient[1] : « La plus grande partie de tout ce que l’on dit ici des questions a été tirée d’un manuscrit de feu Monsieur Descartes, que Monsieur Clerselier a eu la bonté de prêter. » Or, en ce traité, on lit[2] : « Les géomètres sont louables de n’avoir rien voulu avancer que de convaincant ; mais il semble qu’ils n’ont pas assez pris garde qu’il ne suffit pas pour avoir une parfaite science de quelque vérité, d’être convaincu que cela est vrai, si de plus on ne pénètre par des raisons prises de la nature de la chose même pourquoi cela est vrai. Car jusqu’à ce que nous soyons arrivés à ce point-là, notre esprit n’est point pleinement satisfait, et cherche encore une plus grande connaissance que celle qu’il a ; ce qui est une marque qu’il n’a point encore la vraie

  1. La logiquue ou l’art de penser, IVe Partie, Ch. II (en note).
  2. Op. laud., IVe Partie, Ch. IX, premier défaut.