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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

principes n’est pas de lui-même[1] connu, mais est susceptible de démonstration, il nous faut connaître au préalable les prémisses par lesquelles on le démontre ; et ainsi de suite, jusqu’à ce que nous arrivions à des principes connus par eux-mêmes et indémontrables ; alors, mais alors seulement, cette conclusion mathématique sera parfaitement connue. C’est ainsi qu’une conclusion mathématique peut être parfaitement connue à titre de conclusion (per modum conclusionis). »

La connaissance parfaite, à titre de conclusion, d’une proposition mathématique ne suppose aucunement lu connaissance de toutes les causes de cette proposition ; Buridan nous l’a dit. Il y a plus ; en bien des cas, la connaissance de cette proposition, telle que nous la donne la démonstration mathématique, n’implique même pas la connaissance des causes proprement mathématiques de cette conclusion. La remarque est d’importance et mérite qu’on y insiste.

Aux Seconds Analytiques, Aristote a distingué deux sortes de démonstrations : celle qui se donne par τὸ ὅτι (quia) et celle qui se donne par τὸ διότι (propter quid) ; cette dernière est la plus parfaite ; elle ne nous fait pas seulement connaître qu’une chose est ; elle nous apprend par quelles causes cette chose est. Les Scolastiques avaient accoutumé de prendre la démonstration mathématique pour exemple de cette preuve par τὸ διότι. « Assurément, dit Buridan[2], il me semble qu’il va là quelque chose de bien douteux touchant les démonstrations mathématiques ; nous disons communément que ce sont des démonstrations propter quid, ccpendaut, ni les prémisses ni le moyen terme ne désignent la cause de la conclusion ; par exemple, ou démontre que les trois angles d’un triangle valent deux droits, par ce fait que l’angle extérieur est égal à la somme des deux angles intérieurs non adjacents ; mais ce n’est pas la cause de la vérité de la conclusion ; en effet, lors même qu’il n’y aurait pas d’angle extérieur, lors même que tous les angles extérieurs à ce triangle seraient anéantis, ce triangle n’en aurait pas moins trois angles dont la somme vaut deux droits.

» Pour moi, je crois qu’ordinairement, dans les démonstrations mathématiques, la chose signifiée par le moyen-terme n’a pas une relation de cause à effet avec les choses que signifient les termes de la conclusion, non plus qu’une relation d’effet à cause, comme il arrive parfois dans les démonstrations physiques propter quid.

  1. Au lieu de : per se, le texte dit : perfecte.
  2. Joannis Buridani Op. lib. II, quæst. IV ; fol. VI, col. b.