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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

exemple celle de toutes ces sciences où la subordination dont il s’agit se laisse le moins aisément reconnaître, la Mathématique. C’est, pour lui, l’occasion d’émettre, au sujet de la méthode mathématique, des réflexions pleines de sens et qui valent d’être reproduites.

Pour posséder la science parfaite de quelque effet, est-il nécessaire d’en connaître toutes les causes ? C’est afin de répondre à cette question que Jean Bu rida n. formule les conclusions suivantes[1] :

« La première conclusion est celle-ci : Pour connaître parfaitement, en manière de conclusion, cette conclusion : Les trois angles d’un triangle sont égaux à deux droits, il n’est pas nécessaire de connaître d’une manière particulière toutes les causes des triangles. Cette conclusion, en effet, est parfaitement connue, à titre de conclusion, à l’aide de démonstrations d’où elle se conclut évidemment à partir de prémisses évidentes… Cependant, les démonstrations qui aboutissent évidemment à ladite conclusion ne font aucune mention spéciale de Dieu, de l’intelligence humaine et de beaucoup d’autres choses qui sont les causes de toutes les conclusions et de tous les triangles.

» Une seconde conclusion peut être posée, qui est celle-ci : Ladite conclusion, même à titre de conclusion, n’est pas connue parfaitement par la seule Géométrie. En voici la raison : Une conclusion n’est pas connue d’une manière entièrement démonstrative, à moins que les prémisses n on soient connues par elles-mêmes ou démontrées à partir de vérités connues par elles-mêmes… Mais les principes de la Géométrie, dont il faut faire usage pour démontrer cette conclusion-là et toutes les autres conclusions géométriques, ne sont pas connus par eux-mêmes ; beaucoup d’entre eux, au contraire, sont douteux, à moins qu’une autre science ne les fasse connaître.

» Je fais cette déclaration, parce que c’est un grand sujet de doute, et fort agité chez les Anciens, de savoir si un corps est composé de points indivisibles ou s’il est, au contraire, divisible en parties qui demeurent toujours divisibles. Or ce doute, le géomètre ne le peut traiter par sa propre science ; il faut, qu’il soit traité par la Physique ou par la Métaphysique. Et cependant, le géomètre est tenu de supposer qu’un continu ne se compose pas d’indivisibles ; car s’il était composé d’indivisibles, presque toutes

  1. Joannis Buridani Op. laud., lib. I, quæst. V, fol. VI, col. d, et fol. VII, col. a.