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L’ÉCLECTISME PARISIEN

C’est encore cette tradition qui le dirige lorsqu’il veut marquer la dépendance que les diverses sciences ont les unes à l’égard des autres et, particulièrement, celles qu’elles ont toutes à l’égard de la Métaphysique. Il nous donne, d’ailleurs, en l’accomplissement de cette tâche, mainte preuve de la finesse et de la justesse de son intelligence.

Il admet pleinement, selon la doctrine d’Aristote, que toute science, sauf la Métaphysique, tire ses principes de quelque science antérieure ; que c’est le rôle particulier de la Métaphysique de se donner à elle-même scs propres principes et, en même temps, de fournir leurs premiers principes aux autres sciences.

« De tous les termes[1] la Métaphysique forme les propositions qu’elle démontre et aussi celles par lesquelles elle démontre ; mais il n on est pas de même du géomètre ; ce n’est pas au géomètre, en effet, c’est au métaphysicien qu’il appartient de rechercher quelle chose est un triangle, ce que c’est que d’avoir trois angles, et si c’est la même chose d’être un triangle et d’avoir trois angles. » Ainsi c’est à la Métaphysique qu’il appartient de rechercher quelle est la nature, quelle est la valeur des axiomes de la Géométrie.

Comme, en toute science, on invoque des principes qui sont empruntés à la Métaphysique, celui qui étudie une science quelconque est amené de temps en temps, pour en discuter les principes, à faire de la Métaphysique ; il ne faut pas qu’il se méprenne sur la nature de la besogne qu’il accomplit alors ; il quitte le rôle qui lui est propre pour jouer, pendant quelque temps, celui de métaphysicien. « On a l’habitude, dans les sciences spéciales, dit Buridan[2], de traiter certaines questions métaphysiques parce que ces sciences spéciales sont tenues de supposer que ces questions oui été. au préalable, déterminées par la Métaphysique. De même, en l’art médical, les médecins ont accoutumé de traiter par la Physique une foule de questions spéculatives, parce que les médecins ont besoin d’emprunter à une science plus élevée la solution de ces questions ; et lorsqu’ils ne les trouvent pas toutes traitées dans les livres consacrés à cette science supérieure, ils s’élèvent jusqu’à les traiter eux-mêmes et revêtent la manière de faire de la science supérieure. »

Pour marquer la dépendance de toutes les sciences théoriques à l’égard de la Métaphysique, Buridan prend volontiers comme

  1. Johannis Buridani Op. laud., lib, quæst. I, fol. II, col. d.
  2. Buridan loc. cit.