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L’ÉCLECTISME PARISIEN

C’est par la considération de ce sujet que le Philosophe de Béthune marque la distinction entre la Physique et la Mathématique[1].

« Tout terme qui appartient à la Physique, s’il est parfaitement défini comme appartenant à la Physique, est défini par l’un des termes : mouvement, changement, mouvoir, être mû ou par quelque autre terme qui, en sa propre signification, implique l’un de ces termes : mouvement, changement ou un terme équivalent…

» Aucun terme mathématique, s’il est défini d’une manière précise sous le rapport en vertu duquel il appartient à la Mathématique, ne peut être défini par ces termes : mouvement, changement. En effet, aux raisons des nombres et des grandeurs, en tant que l’on se propose d’en connaître la mesure et de savoir en quels rapports ils sont les uns aux autres, il n’importe aucunement que ccs objets se meuvent ou ne se meuvent, pas, qu’ils résident ou non en des substances mobiles. Selon les rapports des nombres, quatre serait aussi bien le double de deux, que ces nombres fussent en mouvement ou en repos ; et de même [que les figures soient mobiles ou non], le triangle continue d’avoir trois angles, la diagonale du carré à fournir un carré de surface double et ainsi de suite. Ainsi donc, celui qui définit d’une manière purement mathématique ne doit, aucunement se mêler de ces termes : mouvement, changement, etc.

» De là suit cette conclusion que nulle Science physique n’est Science mathématique et réciproquement… »

Ces principes, affirmés par Aristote, étaient unanimement reçus des mathématiciens grecs ; on sait avec quel soin Euclide évitait d’introduire, dans les définitions et dans les démonstrations de sa Géométrie, les considérations de points et de lignes mobiles que nous y admettons si volontiers aujourd’hui ; et si Archimède usait de la Cinématique comme moyen d’invention, il ne regardait point ses raisonnements comme propres à satisfaire le mathématicien tant qu’il n’en avait pas chassé toute notion de mouvement.

C’est donc une pensée bien caractéristique de la Science hellénique que nous venons de retrouver, si nettement formulée, dans le livre de Buridan.

« Mais au sujet de ce que nous venons de dire s’élève un doute ; il est relatif aux sciences intermédiaires, comme l’Astronomie, la Perspective[2] et la Musique… Solution de ce doute : Je dis que

  1. Johannis Buridani Op. laud., lib. Il, quæst. VI Utrum naturalis differt a mathematico per hoc quod naturalis definit per motum et mathematicus sine motu. Fol. XXXIIII, coll. b, cet d.
  2. C’est-à-dire l’Optique.