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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

devait, un jour, tuer la Scolastique ; ce poison, c’était la sophistique qu’Oxford pratiquait avec une sorte de fureur.

Les judicieux conseils de Clément VI trouvèrent-ils même docilité chez les théologiens ? Nombre de ceux-ci, ce n’est point douteux, ne tinrent aucun compte des recommandations qui leur étaient adressées. Leurs leçons sur les Sentences, leurs discussions quolibéliques continuèrent, au grand détriment des études proprement théologiques, de rassembler « tout ce qu’il est donné aux hommes de savoir ». Les plus épineuses discussions logiques y scientifiques ou de le scandaliser par les sophistiques jongleries de la dialectique nominaliste. Pendant près de deux siècles, on entend s’élever, contre les folies des théologiens, le cri de réprobation que poussent les plus éminents docteurs de Paris ; ce cri, nous l’entendrons, à la fin du xive siècle et au commencement du xvc siècle, sortir de la bouche de Pierre d’Ailly, de Jean de Gerson, de Nicolas de Clainenges ; à la fin du xve siècle et au commencement du xvie siècle, il sera répété par Érasme, par Lefèvre d’Étaples, par Josse Clichtove, par Louis Vivès. En nous apprenant que la foule des maîtres en Théologie n’a pas voulu entendre les conseils de Clément VI, il nous prouvera que ces conseils ont été reçus, compris et répétés par tous ceux qui furent la fleur de l’Université de Paris.

Parmi les recommandations que le Pape avait formulées en 1346, il en est une qui ne trouva nul crédit auprès des maîtres les plus éminents de la Faculté des Arts ; en ce point, la résistance qu’ils opposèrent aux directions pontificales fut légitime et sensée.

Clément VI jugeait que ces professeurs « devaient suivre les textes du Philosophe et des anciens Maîtres toutes les fois qu’ils ne sont pas en opposition avec la foi catholique » et qu’ils les devaient regarder comme les fermes soutiens de la Science. Dès là que les enseignements d’Aristote ne sont pas en contradiction avec la foi catholique, ils échappent à l’autorité ils tombent sous une autre autorité, qui est celle de la raison et de expérience ; à la raison, il appartient déjuger si les doctrines péripatéticiennes sont construites avec une suffisante rigueur ; à l’expérience, il appartient de dire si leurs principes ou leurs conséquences ne se trouvent pas contredits par le témoignage