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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

Ladite Université de Paris était, en quelque sorte, l’Université qui surpasse et domine toutes les autres, la source vive de la doctrine et des Sciences à laquelle les autres Universités avaient accoutumé de puiser ; en adhérant de tout leur pouvoir à des opinions étrangères qui sont, fort souvent, inutiles et erronées, ils la réduisent, pour ainsi dire, à la condition d’esclave. »

Des deux édits promulgués par la Faculté des Arts en 1339 et en 1340, de la lettre adressée parle pape, en 1346, aux maîtres et aux écoliers de Paris, quelle lut l’efficace ? On a coutume de la déclarer nulle ; on regarde comme prouvé que toutes les prescriptions contenues dans ces pièces demeurèrent lettre morte.

Ce jugement est-il juste ? Et, d’abord, les intentions de la Faculté des Arts furent-elles méprisées aussitôt que manifestées ?

On n’a pas toujours exactement compris l’intention, cependant si claire, du décret de 1340 ; on a feint d’y voir une condamnation de toutes les thèses que Guillaume d Ockam avait soutenues, de toutes les méthodes qu’il avait recommandées ; on s’est alors étonné de voir que nombre de maîtres parisiens continuaient de prendre parti pour ces thèses et de suivre ces méthodes ; on y a vu comme un acte d’insubordination contre l’autorité. « Un fait est certain, a écrit Prantl[1] ; en dépit de la lutte que l’Église avait menée contre elle, la Logique occamiste, par la suite, obtint une importance prépondérante. » « Chose significative, dit, à son tour, M. Maurice De Wulf[2] ; alors que dans un espace de sept ans, nous voyons se succéder trois interdictions de l’Occamisme, celui-ci prospère à Paris, la majorité des maîtres ès arts y souscrivent publiquement ou y adhèrent en secret et, qui plus est, au temps même de Clément VI, un des professeurs les plus en vue et les plus influents, qui fut recteur de l’Univcrsité de Paris — Jean Buridan — défend ouvertement l’Occamisme. »

« Il y a là, poursuit fort justement M. De Wulf, un conflit entre une situation de fait et une situation de droit qui s’explique peut-être par les considérants dont s’inspirent les prohibitions énumérées. Ce qui effraie les autorités, c’est l’abus que certains docteurs font de l’Occamisme au profit des théories anti-scolastiques ; voilà le mal qu’il faut surtout éviter. Mais une foule d’Occamistes veulent rester scolastiques et le demeurent. Leur enseignement ne devait pas susciter les mêmes craintes ; s’ils étaient atteints par la lettre des documents prohibitifs, ils

  1. Carl Prantl, Geschichte der Logik im Abendlande. Bd. IV, 1870, p. 3.
  2. Maurice De Wulf, Histoire de la Philosophie médiévale, 4e édition, Paris et Louvain, 1912, p. 525.