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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

C’est ce bon sens qui avait, à la Faculté des Arts de Paris, dicté le décret de 1340 ; aucune des pensées fécondes proposées par Guillaume n’y était censurée ; on revanche, les faux principes au nom desquels le Nominalisme dégénérait en sophistique y étaient très clairement, formulés, réfutés et condamnés.

Il convient, croyons-nous, d’attribuer une portée un peu differente à la lettre que, le 20 mai 1346, le pape Clément VI adressait[1] « aux maîtres et aux écoliers de Paris » ; cette lettre avait pour objet de les détourner « de l’étude et de la doctrine de quelques philosophes et théologiens qui ont, récemment, enseigné à Paris. »

Le Réalisme audacieux de maint disciple de Duns Scot, le Nominalisme impitoyable des successeurs d’Ockam, faisaient courir à l’orthodoxie chrétienne des dangers évidents ; les erreurs de Nicolas d’Autrecourt fournissaient un exemple saisissant des hérésies auxquelles pouvaient conduire les doctrines nouvellement enseignées à l’Université de Paris ; que le pape ait aperçu ce péril et son soit montré anxieux, il n’y a pas lieu de s’en étonner.

Une autre crainte, cependant, semble avoir, en lui, surpassé celle de l’hérésie.

La subtilité de Scot, la rigueur d’Ockam, avaient exalté la passion, déjà si développée dans la Scolastique, pour la discussion logique ; en outre, en abandonnant sur divers points la voie tracée par le péripatétisme, ces auteurs avaient posé, en Physique, des questions nouvelles ; l’attrait de ces méthodes neuves, de ces problèmes encore irrésolus était si vif que les théologiens se laissaient séduire par lui au point doublier l’objet propre de leur enseignement ; le commentaire des Sentences de Pierre Lombard n’était plus pour eux, bien souvent, qu’un prétexte à disserter sur 1’infini, sur la division du continu, sur le mouvement dans le vide, sur une foule de sujets tous profanes. L’historien de la science s’applaudit aujourd’hui que les maîtres en Théologie aient donné dans ce travers ; leur désir de faire, à propos ou hors de propos, étalage de leurs connaissances lui fournit, sur ces connaissances, nombre de renseignements précieux ; mais que l’Eglise ait vu avec peine cette déviation des études théologiques et se soit efforcée de les redresser, il ne le peut trouver mauvaise’

« Les théologiens, disait Clément VI, ne prennent nul souci du texte de la Bible, des enseignements originaux que les saints ont

  1. H. Denifle et E. Châtelain, Chartularium Universitatis Parisiensis, pièce no 1125{{}}, t. II, p. 587-589.