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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

vent traduire par des mots qui souffrent de telles définitions, il n’en est plus de même des choses extérieures à notre esprit ; une telle chose se décrit, mais la description que nous en donnons ne peut jamais être si précise quelle convienne à une certaine chose et seulement à cette chose. Si donc une science peut atteindre à la rigueur extrême qu exigeaient les disciples d’Ockam, c’est à la condition expresse de porter seulement sur des concepts arbitrairement combinés par notre raison, sur des termes mentaux (termini), et de ne jamais considérer des choses données par l’observation et l’expérience.

Devant cette conclusion, les Occamistes ne reculaient pas ; ils déclaraient formellement qu’il n’y a pas science des choses, mais seulement science des termes.

Ainsi vidée de tout contenu réel, afin de conquérir une précision et une rigueur parfaite, ainsi réduite à n’etre qu’une « langue bien faite », selon le mot que reprendra Condillac, la science se voyait fort exposée à dégénérer en un simple enchaînement de formules ; la discussion philosophique se devait fatalement réduire à une bataille de mots.

Dans ces travers, les logiciens de l’École occamiste n’avaient pas tardé à donner, et les gens sensés que comptait l’Université de Paris s’en étaient promptement émus.

De cette émotion, nous trouvons un premier témoignage dans un édit rendu le 25 septembre 1339 par la Faculté des Arts de Paris[1].

La Logique du grand Nominaliste franciscain séduisait professeurs et élèves à tel point qu’on l’enseignait partout ; pour discuter les traités d’Occam, on délaissait le commentaire des ouvrages classiques, de l’Organon d’Aristote et des Summulæ de Pierre l’Espagnol ; les maîtres ne craignaient pas de se consacrer à ces nouveautés en dépit du serment qui les obligeait à expliquer les textes prescrits ; et lorsqu’on craignait de violer trop ouvertement, dans des leçons publiques, les règlements de l’Université, on s’assemblait dans des maisons particulières, on y organisait des conférences fermées où l’on trouvait, aux livres du fougueux réformateur de la Logique, la délicieuse saveur du fruit défendu.

C’est à ces coutumes que, par l’édit de 1339, la Faculté des Arts prétendit mettre le holà.

« C’est, semble-t-il, s’écarter du chemin de la raison et ne pas

1. Statutum Facultalis Artium quod dotfrina Okanica non dogmalicetw. {Chariularium Unioersitatis Parisiens is} pièce n« 1023 ; t. Il, pp. 485-486).

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