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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

riser est Henri de Gand ; il ne manque d’ailleurs pas de le faire. « Au sujet de cette question, dit-il[1], il nous faut exposer les opinions des théologiens.

» La première opinion est celle de Sanctus Thomas doctor communis ; la voici : Le Monde n’a pas existé de toute éternité ; mais il aurait pu exister de toute éternité ; qu’il n’ait pas existé de toute éternité, c’est de la foi seule que nous le tenons, et cela ne saurait être démontré par la raison…

» Tout autre fut l’opinion du Solemnis Doctor Henricus de Gandavo ; il a affirmé que le Monde ne pouvait pas avoir été produit de toute éternité et il l’a montré de multiple façon. »

Comme il a présenté les raisons de Saint Thomas, Burley expose les arguments d’Henri de Gand et de ses partisans ; puis il conclut en ces termes :

« Les raisons, précédemment citées, de ce docteur concluent donc bien que cette proposition, le Monde a été produit de toute éternité, est impossible ; à l’égard d’une même chose, le caractère qui consiste à être produit et l’éternité sont incompatibles ; que le Monde ait existé de toute éternité, cela n’implique pas contradiction ; mais ce qui implique contradiction, c’est que le Monde ait été produit, en entendant le mot produit au sens propre, et qu’il soit, néanmoins, éternel. » On n’en saurait douter, puisque Burley a défini le mot produire comme ayant même sens qu’innover.

Au sujet de l’innovation du Monde, Burley a donc pleinement délaissé la doctrine d’Aristote et d’Averroès pour adopter la doctrine de l’Église ; il pensait toutefois, en agissant ainsi, ne se point contenter de raisons théologiques ; il croyait posséder une démonstration physique propre à établir que le Monde créé ne peut être éternel.

En d’autres circonstances, son embarras était plus grand. Lorsque nous étudierons la question du vide, nous le verrons anxieux entre la négation péripatéticienne du vide, et l’affirmation de ce même vide, qu’il croit imposée par la foi. Incapable de découvrir des raisons de Physique qui puissent ruiner la théorie d’Aristote et justifier la thèse chrétienne, il s’abstiendra de conclure et demeurera en suspens.

  1. Walter Burley, loc. cit., éd, cit., fol. 202, col. d., et fol. 203, col. a.