Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/693

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
683
L’ÉCLECTISME PARISIEN

» Il semble donc bien que l’opinion d’Aristote a été la suivante : Chacune des intelligences qui meut les orbes est, à elle-même, l’objet de son vouloir et de sa connaissance ; en se voulant elle-même et en se connaissant elle-même, elle veut et connaît simultanément toutes choses. »

Que des considérations aussi claires n’aient pu convaincre des hommes comme Pierre Auriol et Jean de Jandun ; qu’elles n’aient pu les dissuader de forcer la pensée d’Aristote dans un sens auquel elle répugnait, cela témoigne d’un vif désir d’accomtnoder le langage du Philosophe au dogme chrétien. Ce désir se cachait encore au fond du cœur de ceux-là même qui criaient bien haut la vanité d’une telle tentative. Ne soyons donc pas surpris de reconnaître les effets de ce désir dans les écrits d’un Walter Burley qui n’avait pas, semble-t-il, renoncé à tout espoir de concilier le Péripatétisme avec le Christianisme.

Afin de rendre cette conciliation plus aisée, Burley, en maintes circonstances, assouplit, en quelque sorte, renseignement d’Aristote, jusqu’à le mouler, si possible, sur l’enseignement de l’Église. À la thèse péripatéticienne qui fait de Dieu un moteur absolument immobile, le chrétien adresse cette objection[1] :

« Il est évident que Dieu n’est pas immobile ; en effet, à un Dieu immobile et inflexible, que ni prière ni offrande ne saurait fléchir, on ne doit pas adresser de prières ; ces prières seraient vaincs, puisque celui à qui elles sont adressées ne pourrait rien faire à cause de ces prières ; cependant, on doit adresser des prières au Seigneur et on lui en adresse chaque jour ; Dieu n’est donc pas inflexible ni, partant, immobile. »

À cette objection, Walter Burley répondait[2] :

« En lui-même, Dieu est inflexible ; toutefois, à l’égard de la créature, il peut se comporter d’une manière différente à des époques différentes, et c’est à cela que servent les prières, toutes les prières du monde ne sauraient rien produire de nouveau dans le Créateur. Cependant, à cause des prières, quelque chose de nouveau est produit en la créature par Dieu ; mais cette production résulte d’un changement de la créature et non pas d’un changement de Dieu. »

Fidèle écho de l’enseignement de l’Église, le commentaire de Burley propose ici un mystère à la foi du Chrétien. Mais comment

  1. Burlæus Super octo libros Physicorum, Lib. VIII. tract. II, cap. V ; éd. cit., fol. 218, col. b.
  2. Walter Burley, loc. cit., éd. cit., fol. 218, col. c.