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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

du Philosophe et du Commentateur, ce Moteur meut seulement à titre de cause finale. »

Ce que nous venons de lire est-il un reflet non déformé de la pensée d’Aristote et d’Averroès ? Assurément non. S’il est un point que la lecture de la Métaphysique met hors de doute, c’est que le Stagirite comptait autant de moteurs séparés, autant de substances divines qu’il y a d’orbes célestes. Il est bien certain, également, que le Commentateur suivait, en cela, le sentiment si clairement exprimé par le Philosophe ; il se contentait d insister, plus que celui-ci ne l’avait fait, sur le caractère principal, sur la dignité de chef qu’il convient d’attribuer au premier des moteurs séparés, au moteur du ciel ultime.

L’ambiguïté du huitième livre de la Physique et du traité De substantia orbis, où il est parlé du mouvement du ciel comme si le ciel se composait d’un orbe unique, ont rendu possible une déformation monothéiste de la pensée d’Aristote et d’Averroès. Tout en laissant à chaque orbe son moteur conjoint, on a compté un seul moteur séparé, que l’on a identifié à Dieu. Si Saint Thomas d’Aquin n’a point imaginé cette adaptation de la théorie péripatéticienne des moteurs célestes, du moins l’a-t-il adoptée et lui a-t-il assuré le concours de sa grande autorité.

En effet, en dépit de la torture qu’il fallait faire subir aux textes d’Aristote et d’Averroès afin de leur imposer cette interprétation monothéiste, il se trouva plus d’un maitre pour les solliciter en ce sens, et cela parmi ceux mêmes qui se piquaient de reproduire avec une scrupuleuse fidélité la pensée du Philosophe et du Commentateur. Nous avons vu que Pierre Auriol était de ce nombre ; de ce nombre aussi, entre Auriol et Burley, se trouve être Jean de Jandun.

Jean de Jandun tient, au sujet des moteurs célestes, un langage presque identique à celui que Walter Burley tient au même moment, ou tiendra peu après.

Le premier Moteur, dit-il[1], ne meut pas le premier ciel immédiatement et à titre de cause efficiente :

« Outre le Moteur qui meut seulement à titre d’objet aimé et désiré, il faut qu’il y ait un autre moteur qui meuve en tant que substance qui aime et qui désire ; en effet, ce qui meut à titre d’objet aimé et désiré n’est que la cause finale du mouvement, et

  1. Joannis de Janduno Quæstiones in libros Metaphysicæ ; lib. XII, quæst. XVII ; ed. cit., coll. 691-695.