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CHAPITRE IX
L’ÉCLECTISME PARISIEN

I
Walter Burley


Bien éloignés sont les points de départ de Guillaume d’Ockam et de Jean de Jandun ; cependant, ils arrivent au même terme, et ce terme, c’est la négation de toute Métaphysique.

De toutes parts, la connaissance sensible trace à la Philosophie des bornes au delà desquelles ses spéculations ne trouvent plus rien qui assure leurs principes ou qui contrôle leurs conclusions ; c’est aux données acquises par la perception sensible, en effet, que la déduction philosophique demande de lui fournir immédiatement ou de lui suggérer médiatement des principes ; construite en vue de sauver, le plus simplement possible, les apparences, la théorie n’a rien qui la puisse justifier, si ce n’est l’accord de ses conséquences avec les faits observés.

Toute proposition qui excède les bornes d’une Philosophie ainsi définie est inconnaissable à l’homme tel qu’il est actuellement constitué ; les facultés dont il est doué en cette vie ne lui fournissent aucun moyen de savoir si une telle proposition est vraie ou fausse. Seul, l’enseignement de l’Église peut lui entr’ouvrir l’accès de ce domaine qui demeure fermé à sa raison. Ce que cet enseignement propose à sa foi, il le doit croire purement et simplement, sans tenter de dresser contre les mystères des objections philosophiques ; sa science, en effet, bornée aux propositions que la perception sensible peut révéler ou confirmer, est incapable de dire où s’arrête la puissance de Dieu, de déterminer ce qu’a librement choisi la volonté divine.

En ce positivisme chrétien viennent se réunir les pensées de ces deux hommes, dont l’un a été soumis à toutes les influences du Scotisme, tandis que l’autre a hérité des traditions de l’Averroïsme parisien ; l’un et l’autre éprouvent le même dégoût de la Métaphysique ; l’un et l’autre sont également convaincus que la raison, par ses propres lumières, est incapable de nous rien apprendre sur Dieu, sur l’origine du Monde, sur le libre arbitre de l’homme, sur les destinées de l’âme humaine.