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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

du sens, conjointe avec une autre. De même, parmi les choses matérielles, il n’est rien de nouveau, rien qui soit innové à l’existence ; mais, par mouvement local, une chose se présente a une autre en présence de laquelle elle ne se trouvait pas auparavant. Ainsi en est-il, en notre âme, par l’effet du mouvement spirituel. Cette supposition anéantit tout le troisième livre De l’âme d’Aristote. »

« La notion intellectuelle qui m’est, en ce moment, présente, sera, tout à l’heure, présente à un autre sujet. »

« Les puissances [de l’âme] ne reçoivent rien qui provienne des objets ; mais lorsque l’objet est présent, ainsi que diverses circonstances dont le concours est requis pour qu’une puissance opère, une certaine réalité se présente à l’âme ; auparavant, cette réalité n’était pas présente à l’âme, mais elle existait en elle-même ; si elle devient présente à l’âme, ce n’est pas par ce que des atomes corporels se sont détachés [de l’objet], mais seulement par l’effet d’un mouvement spirituel. »

« Les choses viles vont à la terre et au centre, parce qu’elles sont apparentées à la terre ; le feu, au contraire, va vers le feu et vers les autres corps plus nobles qui lui sont semblables. De même, semble-t-il que les idées (exemplaria) nobles vont aux âmes nobles et les idées viles aux âmes viles ; ceux qui sont de la terre parlent de la terre. Cette arrivée d’idées nobles ou viles paraît attester la perfection ou l’imperfection des âmes, car de telles idées ne leur advicnnent que par suite de la parenté qu’elles ont avec elles. »

Qu’est-ce que tout ce système ? Un paradoxe audacieux et ingénieux qu’il était piquant, au cours des discussions de la Sorbonne, de développer, au grand scandale des Péripatéticiens convaincus, mais au grand amusement des auditeurs plus sceptiques. Nicolas d’Autrecourt, affirme qu’il n’a jamais voulu le donner pour autre chose. Ses juges ont ajouté foi à son affirmation. Elle explique leur indulgence.

Elle explique aussi que les thèses proposées par notre disputeur soient demeurées sans grande influence sur la doctrine philosophique de l’École de Paris. Mais une autre cause a protégé cette doctrine contre les tendances exagérées de l’Occamisme ; il s’est rencontré, à ce moment, des maîtres illustres pour lutter contre les excès de ces tendances, pour n’en garder que les conséquences modérées et bienfaisantes. C’est l’œuvre de ces maîtres que nous allons retracer.