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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

viennent, par mouvement local, d’autres atomes tels que leur arrivée semble sans effet sur le mouvement ou sur ce qu’on nomme l’opération naturelle de ce sujet, on dit qu’il y a altération. »

Les Motékallémin, dont le Guide des égarés révélait la doctrine aux Scolastiques, s’exprimaient de même[1], du moins à l’égard de la génération et de la corruption : « Toutes les parcelles qui composent les corps sont semblables et pareilles les unes aux autres, et il n’y a entre elles aucune espèce de différence. Il n’est pas possible qu’il existe un corps quelconque qui ne soit pas composé, par juxtaposition, de ces parcelles pareilles ; de sorte que, pour eux, la génération, c’est la réunion [des atomes], et la destruction, c’est la séparation. Cependant, ils ne donnent pas à cette dernière le nom de destruction, mais ils disent : les générations sont réunion, séparation, mouvement et repos. »

Les changements que le Péripatétisme prétendait distinguer du mouvement local, la génération, la corruption, l’altération, se réduisent donc, en dernière analyse, à des changements de place d’atomes.

Nicolas d’Autrecourt ne se bornait pas à poser ce principe fondamental ; il s’efforçait de l’appliquer au détail des phénomènes, témoin cette proposition[2], où il formule, au sujet de la lumière, la célèbre hypothèse de l’émission :

« La lumière n’est pas autre chose que certains corps aptes, par nature, à suivre le mouvement du Soleil ou de quelque autre corps lumineux ; elle est donc produite par le mouvement local de ces corps-là, lorsqu’ils arrivent en présence du corps lumineux. Peut-être dira-t-on qu’elle ne peut être transmise (fit) par mouvement local, car elle est transmise d’une manière instantanée : on répondra qu’elle est transmise en un certain temps, comme le son, mais que nous ne le constatons pas par notre perception, car elle est transmise avec une extrême rapidité (fit subito). »

Comme les atomes dont les corps sont formés, les âmes sont éternelles ; une palingénésie dont la grande Année astrale rythme les retours périodiques, réunit une infinité de fois la même âme au même groupe d’atomes corporels :

« Les sujets corporels (suppositi)[3] reviennent, numériquement

  1. Moïse ben Maimoun dit Maïmonide Le guide des égarés, trad. par S. Munk ; Première partie, Ch. LXXIII ; t. I, pp. 337-378, Paris, 1856.
  2. Joseph Lappe, Op. laud., p, 38..
  3. Joseph Lappe, Op. laud., p, 39..