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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

d’après la définition qui a été donnée du mot accident, que la blancheur existe en un certain sujet ; or, c’est précisément ce qui est en question.

« Nous ne connaissons donc[1] avec certitude l’existence d’aucune substance conjointe à la matière, fors notre âme. » « Et si Aristote[2] n’a pas eu la connaissance évidente des substances conjointes à la matière, à plus forte raison n’a-t-il pas eu la connaissance évidente des substances séparées. »

Mais Aristote a-t-il même eu connaissance évidente et certaine de sa propre substance ? Ce que nous connaissons d’une manière intuitive, ce sont seulement nos opérations. Or, en sa neuvième lettre à Bernard d’Arezzo, Nicolas soutenait[3] « que l’on ne peut regarder ces conclusions comme évidentes : Un acte intellectuel existe, donc une intelligence existe. Un acte volontaire existe donc une volonté existe. » Aussi Nicolas d’Autrecourt, en sa réponse à Gilles[4], accroissait-il la rigueur de la proposition qu’il avait formulée en sa première lettre à Bernard : « Aucun philosophe, ni Aristote ni quelque antre que ce soit, n’a jamais eu la connaissance, évidente de l’évidence que nous avons décrite, d’aucune substance. »

De la connaissance des substances, donc, la critique de Nicolas d’Autrecourt n’a rien laissé debout ; elle ne sera pas moins ruineuse pour la connaissance des causes.

« J’ai dit[5] en ma cinquième lettre à Bernard que la conséquence suivante n’est pas évidente d’une évidence qui se déduise du premier principe : D’une souche, on approche du feu ; il n’y a aucun empêchement ; donc la souche brûlera. »

« J’ai dit, en ma quatrième lettre à Bernard[6], que la conséquence suivante n’est pas évidente d’une évidence déduite du premier principe : A existe maintenant et n’existait pas auparavant ; donc il existe une chose autre que A. »

À toute cette critique de Nicolas, il n’y a rien à objecter si l’on en admet les prémisses ; il est clair que du principe de non-contradiction, on ne saurait tirer le principe de causalité. Allons plus loin ; il est clair que du seul principe de non-contradiction, on ne saurait rien tirer du tout. Nicolas, donc, qui n’admet pas

  1. Joseph Lappe, Op. laud., p. 13..
  2. Joseph Lappe, Op. laud., p. 12..
  3. Joseph Lappe, Op. laud., p. 34..
  4. Joseph Lappe, Op. laud., p. 29..
  5. Joseph Lappe, Op. laud., p. 32..
  6. Joseph Lappe, ibid.