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GUILLAUME D’OCKAM ET L’OCCAMISME

« De ce que l’existence d’une chose nous est connue[1], nous ne pouvons conclure évidemment, avec une évidence qui se ramène au premier principe ou à la certitude du premier principe, qu une autre chose existe. »

Cette affirmation, Nicolas se plaît à la répéter sous les diverses formes qu’on lui peut donner[2] : « De ce qu’une chose est, on ne peut conclure avec évidence qu’une autre chose n’est pas. De ce qu’une chose n’est pas, on ne peut conclure avec évidence qu’une autre chose n’est pas. De ce qu’une chose n’est pas, on ne peut conclure avec évidence qu’une autre chose est. »

Dès lors, de la connaissance intuitive qu’Aristote avait de son âme, de la connaissance intuitive qu’il avait des objets immédiats de ses perceptions sensibles, il ne pouvait, par une démonstration rigoureuse, déduire l’existence d’aucune chose qui ne fût ni son âme ni un sensible propre ; il n’a pu, en particulier, démontrer l’existence d’aucune substance différente de son âme.

« J’en conclus donc[3] qu’Aristote n’a jamais eu la connaissance évidente d’aucune substance autre que son âme, si l’on entend par substance une certaine chose qui est autre que les objets de nos cinq sens et que nos expériences formelles. D’une telle chose, en effet, il n’a pas eu de connaissance intuitive antérieure à tout raisonnement, discursif ; il n’est pas vrai, en effet, que ces choses nous apparaissent d’une manière intuitive, car, s’il en était ainsi, les paysans sauraient que ces choses existent. Ces choses ne peuvent, non plus, être connues par le raisonnement discursif ; elles ne peuvent être conclues de ce dont nous percevons l’existence avant tout raisonnement discursif ; de ce qu’une chose est, en effet, on n’en saurait conclure qu’une autre chose soit, comme le dit la proposition précédente. »

Mais ne pourra-t-on raisonner ainsi : La perception m’assure de l’existence de la blancheur ; d’autre part, si la blancheur existe, il faut qu’il existe une substance blanche ? On ne saurait, en effet, nier cet axiome : Si un accident existe, il faut qu’il existe une substance qui supporte cet accident.

Cet axiome, Nicolas l’admet[4], à une condition toutefois ; c’est qu’on ait défini l’accident comme une chose qui existe en un certain sujet. Mais pour rendre concluant le raisonnement précédent, il faut admettre que la blancheur est un accident, c’est-à-dire,

  1. Joseph Lappe, Op. laud., p. 9..
  2. Joseph Lappe, Op. laud., pp. 31.-32..
  3. Joseph Lappe, Op. laud., p. 12.
  4. Joseph Lappe, Op. laud., p. 28.