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GUILLAUME D’OCKAM ET L’OCCAMISME

court ; langage, en tout cas, très semblable à celui que tenait jadis Roger Bacon.

Cette confiance excessive aux dires d’Aristote etdeson Commentateur parait, à Nicolas, fort mal justifiée ; les raisonnements de ces philosophes sont loin d’être absolument convaincants ; il est un millier de thèses[1] qui se trouvent formellement affirmées en leurs écrits, alors que les thèses opposées pourraient également être soutenues, au moins avec quelque probabilité.

Soumettre les démonstrations des Philosophes à une critique sévère, montrer qu elles ne concluent pas avec la rigueur qu’ils leur attribuent, c’est l’occupation favorite de Nicolas d’Autrecourt ; il mérite, par là, le titre de disciple de Guillaume d’Ockam ; mais il est de ces disciples qui compromettent, par leurs excès de zèle, la cause du maitre.

Lorsqu’il procédera à l’examen critique des démonstrations d’autrui, quelles sont les vérités dont Nicolas se tiendra pour assuré ? Nous l’allons voir.

Frère Bernard d’Arezzo avait tenu le propos que voici :

La connaissance intuitive claire est celle par laquelle nous jugeons qu’une chose existe, que cette chose, d’ailleurs, existe ou n’existe pas en réalité.

Le théologien franciscain formulait nettement, par ces paroles, la thèse que Guillaume d’Ockam énonçait seulement du bout des lèvres et qu’il eût souhaité de pouvoir réfuter. Il donnait de la connaissance intuitive précisément la même définition que Nicolas Bonet.

Contre ce propos de Bernard, Nicolas d’Autrecourt s’élève vivement en la première lettre qu’il adresse à notre franciscain[2]. Il n’admet pas qu’une chose dont nous avons l’intuition puisse ne pas exister ; il n’admet pas que notre perception sensible ne nous assure pas de l’existence, hors de nous, des objets de cette perception. « Mais, à ce qu’il me semble, vous direz peut-être ceci : Vous vouliez, en une discussion que vous souteniez contre les Frères Prêcheurs, montrer que l’on ne peut, d’une vision, conclure l’existence de l’objet de cette vision, lorsque la vision est produite par une cause surnaturelle… À quoi je répondrai ceci : Si une conséquence ne peut, par une suite formelle et évidente, être conclue d’un antécédent lorsque cet antécédent est produit par tel agent, elle ne peut, non plus, être conclue de ce même antécédent

  1. Joseph Lappe, ibid.
  2. Joseph Lappe, Op. laud., pp. 2-6.