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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

des erreurs de Nicolas d’Autrecourt. Plus tard, Du Boulay[1], d’Argentré[2], la Bibliotheca veterum patrum[3], ont reproduit à l’envi ce document. Le P. Denifle en a découvert, à la Bibliothèque du Vatican, le texte original, malencontreusement mutilé ; il l’a publié au Chartularium Universitatis Parisiensis[4]. M. Lappe en a donné une seconde édition plus correcte[5]. Une circonstance rend cette pièce particulièrement intéressante ; chacune des propositions que Nicolas y rétracte est accompagnée de l’indication très précise des circonstances où cette proposition avait été soutenue ou de l’écrit qui la contenait.

Nicolas est évidemment excédé des commentaires interminables, des discussions d’une épineuse dialectique auxquels donnent lieu les écrits d’Aristote et d’Averroès ; ce sont exercices stériles que remplacerait avec avantage la moindre observation de la nature.

Il reconnaît avoir professé l’opinion suivante[6] : « La certitude que l’on peut avoir des choses par l’intermédiaire des apparences naturelles est quasi nulle ; toutefois, cette faible certitude pourrait être acquise en peu de temps si les hommes tournaient leur intelligence vers les choses, au lieu de la consacrer à l’interprétation d’Aristote et du Commentateur. »

Ses juges lui reprochent également cette déclaration[7] :

« La connaissance que l’on peut posséder des choses d’après leurs apparences naturelles, se peut acquérir en peu de temps ; aussi, bien des gens s’étonnent-ils que quelques hommes étudient Aristote et le Commentateur jusqu’à la décrépitude de l’âge ; que, pour méditer les discours que ces auteurs ont tenus, ils en viennent à déserter les choses de la morale et le souci du bien commun ; si bien qu’au jour où se dresse un ami de la vérité, qui n’est autre que moi-même, où il fait sonner sa trompette pour réveiller les dormeurs, ceux-ci en sont vivement contrariés ; ils s’arment comme pour une guerre d’extermination, et se ruent sur celui qui a troublé leur sommeil. »

Langage « présomptueux », disent les juges de Nicolas d’Autre-

  1. Bulæi Historia Universitatis Pariensis, t, IV, pp. 308-312, Parisiis, MDCLXVIII.
  2. D’Argentré, Op. laud., t. cit, pp. 355-358.
  3. Maxima Bibliotheca veterum Patrum, t. XXVI, pp. 483-485 ; Lugduni, 1677.
  4. Denifle et Châtelain, Chartularium Universitatis Parisiensis, no 1124 ; t. II, sect. I, pp. 576 sqq.
  5. Joseph Lappe, Op. laud., pp, 31’-45’.
  6. Joseph Lappe, Op. laud., p. 37’
  7. Joseph Lappe, ibid.