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GUILLAUME D’OCKAM ET L’OCCAMISME

d’une manière abstraite ; on la nomme intuitive quand elle est douée d’un certain rapport qui lui l’ait atteindre un objet actuellement existant, et abstraite quand elle est privée de ce rapport.

» De là se tire la conclusion qu’une seule et même connaissance est tantôt intuitive et tantôt abstraite. Ce ne sont donc pas deux connaissances différentes ni spécifiquement ni numériquement.

» Cette opinion m’a semblé, parfois, probable et nullement impossible ; maintenant, cependant, je comprends les choses d’autre façon.

» En effet, selon ce qui sera dit plus loin et ce qui est accordé par beaucoup de personnes, il peut y avoir connaissance intuitive sans objet existant et présent. Mais, sans objet présent, il ne saurait y avoir connaissance doué d’un rapport qui fasse atteindre le terme, qui unisse à ce terme. On ne peut donc appeler connaissance intuitive celle qui est soumise à ce rapport ou qui coexiste avec ce rapport, car une telle connaissance ne serait qu’un composé par accident d’une chose absolue et d’une relation. 11 faut donc que le terme : intuitive désigne une certaine qualité simple qui n’implique aucun rapport…

» Que la pluralité ne doive pas être admise sans nécessité, nous l’accordons. Mais ici, la nécessité est en évidence, si la connaissance intuitive peut exister hors de la présence de son objet ; alors, en effet, il faut bien qu’elle n’ait pas seulement l’unité accidentelle d’un composé formé par une chose absolue et un rapport.

» Mais, me demanderez-vous, par quelle sorte de distinction la connaissance intuitive et la connaissance abstraite se distinguent-elles l’une de l’autre ? — Elles sont distinctes, vous répondrai-je, numériquement et spécifiquement, — Mais comment ? — Par les raisons formelles et les différences essentielles qui les constituent. — Mais quelles sont ces raisons et ces différences ? — Je ne sais quel en est le nom, et je ne les connais pas, si ce n’est a posteriori.

» Je dis toutefois qu’il faut bien qu’elles diffèrent numériquement et spécifiquement, car l’une représente un objet présent, sous forme d’objet présent, et cela que cet objet soit présent ou ne le soit pas (una repræsentat objectum præsens, et per modum præsentis, sive sit præsens sive non) et l’autre représente un objet absent, sous forme d’objet absent [et cela que cet objet soit