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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

Voici maintenant la définition de la connaissance intuitive ; elle n’est ni moins claire ni moins détaillée :

« La connaissance intuitive est une connaissance qui représente un objet existant en tant qu’existant. En d’autres termes équivalents, c’est une connaissance qui représente un objet existant et présent, sous forme d’objet présent, et cela que l’objet représenté soit présent ou ne le soit pas. En effet, par cette connaissance, l’esprit juge toujours que l’objet est présent et actuellement présent ; je dis présent d’une présence dans le temps et non d’une présence dans l’espace, car un objet situé en un lieu distant peut être cependant saisi par l’intuition. En disant que la connaissance intuitive est celle d’un objet existant et présent, je n’entends pas que l’existence actuelle et la présence dans le temps de l’objet soit la raison formelle de la connaissance intuitive ; l’existence actuelle, en effet, n’est pas la seule qui puisse jouer le rôle d’objet pour cette connaissance ; les essences des choses, qui n’existent que d’une existence formelle, jouent également le rôle d’objets de la connaissance intuitive, On entend par là,.selon ce que l’on dit communément, ou bien que l’existence actuelle joue le rôle d’objet connu par la connaissance intuitive, ou bien qu’elle est la condition et la propriété de l’objet connu intuitivement ; c’est sous cette condition et moyennant cette propriété que l’objet est saisi par l’intuition ; en sorte que si cette condition imposée à l’objet intuitivement visé (conditio se tenens ex parte objecti) venait à manquer, cet objet ne serait plus saisi. De cela, nous reparlerons plus bas. »

Les dernières phrases de ce passage, Bonet nous en avertit, ne représentent pas pleinement sapensée ; elles expriment seulement ce que l’on dit communément, sicut fertur.

La pensée de fauteur va se dévoiler dans le chapitre suivant[1], où il examine si la connaissance intuitive et la connaissance abstraite sont vraiment deux connaissances distinctes.

À l’encontre de ceux qui les veulent distinguer, on peut élever ce raisonnement :

« Première proposition : La pluralité ne doit pas être admise sans nécessité.

» Seconde proposition : Une même connaissance, numériquement unique, suffit pour connaître d’une manière intuitive et

  1. Nicolai Boneti Op. laud., lib. Il, cap. XVI ; ms. no 6678, fol. 33, ro et vo ; ms. No, fol. 22, col., b, c et d.