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GUILLAUME D’OCKAM ET L’OCCAMISME

La connaissance n’est, au gré de Bonet, qu’un signe ; la vérité de cette connaissance n’est qu’une conformité, qu’une correspondance du signe avec la chose signifiée. Mais de cette correspondance, du moins, pouvons-nous avoir la certitude ? D’un concept simple, par exemple, pouvons-nous reconnaître la vérité qui consiste à atteindre son objet (attingere objectum) ? Le signe nous assure-t-il de l’existence de la chose signifiée ? Avons-nous, de cette existence, une intuition infaillible ? Ce sont questions que Nicolas Bonet ne saurait éviter et qu’il ne cherche pas à éluder.

Il consacre plusieurs chapitres de sa Métaphysique[1] à l’étude de la connaissance abstraite et de la connaissance intuitive. Cette étude peut être regardée comme l’exposition formelle des conclusions ultimes de rOckamisnie.

Comme Guillaume d’Ockam, Nicolas Bonet distingue entre la connaissance intuitive et la connaissance abstraite ; de chacune de ces deux connaissances, il donne une définition où la pensée du Venerabilis inceptor est exprimée avec la plus minutieuse précision. Voici d’abord comment il caractérise la connaissance abstraite (notitia abstractiva)[2] :

« On nomme connaissance abstraite celle qui représente son objet à l’intelligence d’une même façon, que cet objet existe ou qu’il n’existe pas ; elle représente à l’intelligence un objet absent, et en manière d’objet absent, que cet objet soit, d’ailleurs, présent ou absent, car ceci est, pour cette connaissance, chose accidentelle.

» Par là, je n’entends pas qu’elle fasse abstraction, en la nature de l’objet, de l’existence, à ce point que l’existence de l’objet ne puisse être conçue par la connaissance abstraite ; cela, en effet, est faux ; il semble que tout ce qui est positif puisse être représenté à l’intelligence par cette connaissance. Mais elle fait abstraction de l’existence en tant que cette existence serait une condition imposée à l’objet (tanquam a conditione se tenente ex parte objecti). Cette connaissance, en effet, représente les choses à l’esprit de telle manière que, pour qu’elle soit vraie, il n’est pas nécessaire que son objet existe actuellement hors de l’âme ; elle représente d’une manière abstraite l’objet à l’esprit sans lui représenter si l’objet existe ou n’existe pas. »

  1. Nicolai Boneti Metaphysica, lib. II, capp. XVm ad XXm. — Bibliothèque nationale, fonds latin, ms. 6678, fol. 32, v{{e|o}, à fol. 36, v{{e|o} ; ms. no 16132 fol. 22, col. a, à fol. 24, col. c.
  2. Nicolai Boneti Op. laud., lib. II, cap. XV ; ms. no 6678, fol. 3a, vo, et fol. 33, ro ; ms. no 16132, fol. 22, coll. a et b.