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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

par nœud et lien par lien, du réseau de notre connaissance avec le réseau de la réalité,

À l’encontre d’une telle définition de la vérité, les Péripatéticiens vont se récrier ; et Bonet entend distinctement leurs réclamations.

« De ce qui vient d’être dit, écrit-il[1], surgit un grave motif de doute ; parler ainsi, en elfet, c’est contredire à Aristote. Si la vérité a pour fondement ce rapport (habitudo), de la façon que nous avons dite, il est évident que ni une proposition ni un discours n’est vrai en vertu d’une vérité qui ait, dans la réalité extérieure, une existence formelle ; or Aristote affirme le contraire en ses Catégories, au Chapitre de la Substance…

» Comment cette difficulté peut se résoudre, cela apparaît déjà, jusqu’à un certain point, par ce qui précède ; mais il est possible, toutefois, de l’éclaircir un peu plus.

» Une proposition ou un discours est formellement faux ou vrai en vertu d’une dénomination intrinsèque et non en vertu d’une dénomination extrinsèque ; cette dénomination se tire non d’une vérité qui existerait formellement dans la réalité extérieure, mais d’une vérité qui réside formellement en cette proposition ou en ce discours, et qui lui est inhérente,

» Mais, direz-vous, qu’allons-nous répondre à Aristote lorsqu’il nous dit : C’est de ce fait que la chose est ou n’est pas qu’un discours est dit vrai ou faux ?

» Je vous répondrai : Cela est véritable au point de vue causal. Une proposition est vraie lorsqufe le rapport (habitudo) qu’elle établit est tel qu’il serait naturellement causé par la réalité, si la réalité en était cause ; lorsqu’il n’en est pas ainsi, la proposition n’est pas vraie.

» On peut encore dire que cela est véritable pour qui considère la réalité comme un ferme ; la proposition, avons-nous dit, est appelée vraie lorsqu’elle établit un rapport (respectus) conforme à la réalité ; si donc la réalité est de telle nature qu’elle serve de terme à la conformité de ce rapport (habitudo), la proposition est vraie ; si c’est d’une difformité que la réalité se trouve le terme, la proposition est fausse.

» Ainsi, du fait que la chose est ou n’est pas, le discours est dit vrai ou faux, pourvu que l’on considère la réalité comme cause ou comme terme. »

  1. Nicolai Boneti Op. laud., lib. V, ms. no 6678, cap. VIII, fol. 69, ro ; ms. no 16132, cap. VII, fol. 48, col. c et d.