« Il est encore évident, contrairement à l’opinion des autres, qu’une chose non existante peut être connue intuitivement, bien que l’objet de cet acte n’existe pas ; car la vision sensible d’une couleur peut être conservée par Dieu, alors que cette couleur n’existe pas ; et cependant, cette vision aura [encore] pour terme la couleur à titre d’objet premier ; il en est de même, et pour la même raison, de la vision intellectuelle intuitive. »
Le disciple anonyme d’Ockam va nous apprendre comment son maître allait jusqu’aux conséquences extrêmes des principes que nous venons de lui voir poser. Ce disciple écrit[1], en effet :
« Si, après destruction de l’objet, l’intuition en était conservée par Dieu, cette intuition serait, pour l’intelligence, cause d’assentiment au complexe suivant. Ce complexe étant formé : Je comprends A, je donne aussitôt mon assentiment, et je sais que je comprends A (Si autem, destructo objecto, conservaretur a Deo illa intuitio, tunc illa est causa intellectui assentiendi isto complexo. Formato hoc complexo : Ego intelligo A, Statim assentio, et scio me intelligere A. »
La critique d’Ockam l’amène, en dernière analyse, à cette conséquence : La seule chose dont nous assure la connaissance intuitive, c’est que nous avons cette connaissance. Ses principes l’ont conduit jusqu’au subjectivisme radical.
Lorsqu’on lit non seulement les traités composés parle Maître franciscain, mais encore les propos plus fermes et plus accentués que son disciple lui prête, on le voit, semble-t-il, regimber contre ce corollaire de sa doctrine et se raidir pour le repousser. Il aurait voulu s’en tenir à l’affirmation que la connaissance intuitive nous permet de juger avec certitude de la présence de lobjet. Il n’en pouvait demeurer là. Son principe, trop absolu, que Dieu peut faire tout ce dont la production n’implique aucune contradiction, le poussait avec une force irrésistible et le contraignait de franchir la limite que sa critique eût voulu s’imposer.
- ↑ Anonymi Op. laud., loc. cit.
